Une centaine de familles, un stock de balances et des sacs-poubelle qui rétrécissent comme peau de chagrin. Pour la troisième année d’affilée, la ville de Roubaix, dans le Nord, a lancé fin janvier 2017 un nouveau « Défi familles ». Objectif de cette saison 3 du « zéro déchet » : réduire de moitié la production de déchets ménagers des familles participantes.

Depuis son lancement en 2015, l’opération est un succès. Lors de l’édition 2016, les 120 foyers qui ont tenté l’aventure ont diminué de 47 % en moyenne le contenu de leurs poubelles. Chaque famille a ainsi produit 150 kg de déchets en moins sur un an… une performance qui dépasse les résultats de 2015.

Mais quel est le secret de cette ville, identifiée comme la pionnière du « zéro déchet » en France, suivant ainsi l’exemple de San Francisco aux Etats-Unis et de ­Capannori en Italie ? Comment la lutte contre les ordures est-elle venue changer l’image d’une commune injustement associée uniquement à la pauvreté et à la désindustrialisation ?

Dépôts sauvages

« Le premier principe du zéro déchet, à Roubaix, c’est l’absence de contrainte : les familles se sont toutes engagées volontairement », explique Alexandre Garcin, ­adjoint au maire délégué au développement durable, à l’origine du projet. Entré au conseil municipal après les élections de 2014, le jeune élu issu d’une liste citoyenne s’attelle à mettre en place ce qui n’était alors qu’une promesse de campagne de Guillaume Delbar, l’actuel maire (Les Républicains) de Roubaix. « Nous avions des soucis de dépôts sauvages, de propreté de la voirie, précise M. Delbar. Le “zéro déchet” permettait d’aborder autrement la question. »

Volontaires pour relever le « défi famille », à Roubaix en 2015, les Pollet utilisent désormais des brosses à dents à têtes amovibles interchangeables. | Antoine Bruy/Hans Lucas pour « Le Monde »

Shampoing solide en forme de cannelé fabriqué par la famille Pollet à côté d’un savon « traditionnel ». | Antoine Bruy/Hans Lucas pour « Le Monde »

Mais avec 306 kg de déchets domestiques produits par an et par habitant, dont 243 kg de déchets non recyclés, la municipalité partait de loin. Et ce qui apparaissait comme un handicap – la ville n’est pas chargée de la gestion de ses déchets, qui revient à la métropole lilloise – s’est transformé en atout. « Ça a été notre chance, estime avec le recul Alexandre Garcin. Nous nous serions sans doute enfermés dans des solutions techniques, longues à mettre en place et déconnectées des habitants. » Au contraire, en partant des usagers, la ville a imaginé une démarche incitative et concrète, à portée de poubelle des Roubaisiens.

Thérapie de choc

Les premiers pas, pour les foyers volontaires, commencent par la pesée des ordures pendant une semaine et sans changer leurs habitudes. Munis de balances fournies par la municipalité, les « zéro déchet », se retrouvent face à leurs montagnes d’épluchures, d’emballages et autres plastiques. Une thérapie de choc pour provoquer une prise de conscience.

« Nous n’avions aucune idée de ce que l’on produisait, et l’impression de ne pas gaspiller, se rappelle Jean-Marc Guillenec, engagé dans la démarche en 2015. Quand on a vu qu’un tiers de notre poubelle était composé de produits organiques, nous sommes tombés de haut. »

Chacun s’engage à son rythme. Certains portent leurs efforts sur la réduction des emballages lors des courses, d’autres sur le compostage.

Pour accompagner les familles dans leur cure d’amaigrissement, la mairie a mis sur pied quatorze ateliers où l’on apprend à fabriquer ses produits d’entretien, à ranger son réfrigérateur, conserver ses aliments, confectionner des sacs pour les produits achetés en vrac et pour le pain… « Instinctivement, nous n’aurions jamais pensé que l’atelier le plus populaire serait celui sur le ménage sans déchets. Les familles engagées dans l’opération commencent pourtant souvent par là. Sans doute parce qu’apprendre à faire sa lessive s’inscrit dans leur quotidien, que c’est ludique et économique », constate l’adjoint au développement durable.

Participante au « défi » 2015, la famille Pattyn, de Roubaix (Nord), a renoncé aux poules mais a conservé l’usage du compost. | Antoine Bruy/Hans Lucas pour « Le Monde »

Chacun s’engage à son rythme. Certains portent leurs efforts sur la réduction des emballages lors des courses, d’autres sur le compostage. « Rien n’est imposé, tout est proposé », précise Alexandre Garcin. Des réunions régulières d’échanges entre les familles, des événements autour du « zéro déchet » ou des prêts de poules, de poulaillers ou de composteurs permettent de tester et contribuent à ancrer la lutte contre le gaspillage dans la routine.

Le changement à petits pas

Résultat : peu d’abandons au cours du « défi » et des participants des saisons antérieures qui gardent leurs bonnes habitudes, avec parfois quelques aménagements. Ainsi la famille Pattyn, qui a relevé le défi en 2015, a finalement renoncé aux gallinacés dans son petit jardin, mais continue le compost et l’utilisation du balai vapeur et des produits ménagers faits maison.

Le changement à petits pas est ici une doctrine. Pas question de prôner un grand soir du « zéro déchet ». « En comptant les familles et leurs proches, seulement 1 % de la population roubaisienne s’inscrit dans cette démarche. C’est peu, mais l’objectif n’est pas de faire du chiffre, mais de bien faire », souligne M. Garcin. A terme, la municipalité espère convaincre 20 % de la population de la ville, en s’appuyant aussi sur le changement de comportement de l’ensemble des acteurs locaux. La mairie, une dizaine d’écoles, une cinquantaine d’entreprises, une trentaine de commerçants propagent déjà la petite musique du « zéro déchet » à travers la commune.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec EcoDDS.