Il y a un an, le film Demain, de Mélanie Laurent et Cyril Dion, recevait le César du meilleur film documentaire et dépassait le million d’entrées en France, fait rare dans cette catégorie cinématographique. Mais que reste-t-il du film, en 2017 ? Aujourd’hui les Français se disent de plus en plus sensibles à la protection de la nature mais ne modifient pas leur comportement pour autant. Ou pas assez. « Désormais l’urgence n’est plus celle de la prise de conscience, mais celle du passage à l’acte », alerte Pierre Charlemagne, directeur général d’EcoDDS, éco-organisme chargé du traitement des déchets ménagers toxiques (pots de peinture, bouteilles de white-spirit…).

Les rapports alarmistes sur les conséquences directes du changement climatique ont beau se multiplier, la mobilisation citoyenne reste marginale. « Les gens sont au courant aujourd’hui de l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’environnement, continue le directeur d’EcoDDS. La question est de savoir comment les faire réagir, et trouver les moyens de les mobiliser. »

« Les gens ont besoin d’être touchés émotionnellement. Mais chacun réagit différemment », Pierre Charlemagne, directeur général d’EcoDDS

Une étude menée par Daniel Boy, chercheur au Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), en 2015, pour l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), montre que le public réagit davantage à l’image – celle qu’il se fait ou celle qu’on lui montre – qu’aux « preuves » rationnelles. A la question « Qu’est-ce qui peut vous faire penser que l’effet de serre/le réchauffement climatique est bien réel ? », seuls 5 % des personnes interrogées ont répondu avoir été convaincus de la réalité de ce phénomène grâce aux informations données par les scientifiques.

En revanche, 34 % d’entre eux évoquent la disparition des saisons ou les chamboulements climatiques ; 19 % mentionnent la fonte des glaces et l’image de l’ours polaire perdu sur une banquise qui rétrécit – une image à forte charge émotionnelle, comme c’est souvent le cas lorsque l’on met en scène des animaux. Enfin, 10 % citent les catastrophes naturelles, inondations, tempêtes, ouragans : des phénomènes très visuels qui les bouleversent.

Amende ou récompense

« Les gens ont besoin d’être touchés émotionnellement, confirme Pierre Charlemagne. Mais chacun réagit différemment. Certains seront émus en pensant au futur de leurs enfants, alors que d’autres réagiront à la vision de populations affamées ou assoiffées. C’est pour cela qu’il est très difficile de faire des campagnes à destination d’une population entière. »

Pour Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste, il faut faire ressentir aux personnes concernées qu’elles ont intérêt à respecter ces mesures environ­nementales. Que cela leur sera bénéfique pour leur santé.

Huile, vinaigre, thé, biscuits, sucre, pates, riz, chocolat, bonbons, fruits secs, lentilles, pain... stockés dans les bocaux, les produits alimentaires achetés en vrac limitent sensiblement la production de déchets. | Antoine Bruy/Hans Lucas pour « Le Monde »

Gilles Berhault, consultant en développement durable, préfère l’espoir à la menace. « Nous avons trop abusé du discours de culpabilité au lieu de construire un imaginaire collectif. Il faut travailler absolument sur la dimension pédagogique : éduquer tout en élaborant une approche plus intelligente, plus impliquante que celle des interdits et des peurs », explique-t-il, dans le Livre blanc d’EcoDDS « Comment faire changer les comportements des Français face à la nécessité des gestes citoyens ».

Toucher chacun au porte-monnaie est une manœuvre efficace. « Si nécessaire, il faut contraindre, infliger des amendes à ceux qui ne respectent pas certaines mesures de tri sélectif ; et reverser cet argent à des organismes habilités pour l’aide aux personnes en difficulté. Comme le font les Danois. La mondialisation permet de décliner les bonnes initiatives », avance Arash Derambarsh, conseiller municipal de Courbevoie.

Amende d’un côté. Récompense de l’autre. « Il faut recréer les consignes, mais en les modernisant », suggère de son côté François-Michel Lambert, député écologiste des Bouches-du-Rhône et président fondateur de l’Institut de l’économie circulaire. Ce que fait Eric Brac de La Perrière. Pour inciter les citoyens à mieux gérer leurs déchets, cet ancien directeur d’Eco-Emballages a créé une application, Yoyo, qui permet de récompenser les personnes qui trient le plus, et le mieux. « Le fait de donner une petite récompense, une place de cinéma ou pour un festival de musique, encourage les gens et valorise leur geste », explique-t-il. Selon lui, les citoyens doivent prendre la responsabilité de leur consommation.

« La routine, c’est le mode par défaut du cerveau. Mais il ne peut pas s’activer quand on est soumis à un environnement nouveau. L’effort demandé à chacun pour modifier ses comportements peut être un obstacle », Sylvie Granon, neuro­scientifique spécialiste de la neurobiologie de la prise de décision, dans le Livre blanc d’EcoDDS.

« Certaines personnes me disent qu’on ne devrait pas récompenser les gens pour quelque chose qui devrait faire partie des habitudes, explique Eric Brac de La Perrière. Certes. Mais la morale ne fait pas avancer les choses. » En concertation avec les villes de Lyon et Bordeaux, il a ainsi trouvé le moyen de mobiliser les habitants, de les faire réfléchir sur l’impact de leur consommation. « Nous espérons que ces pratiques entreront dans leur quotidien. »

Faire en sorte que ces gestes soient répétés, deviennent des automatismes et bouleversent les habitudes est un processus long et coûteux en énergie. « La routine, c’est le mode par défaut du cerveau, explique Sylvie Granon, neuro­scientifique spécialiste de la neurobiologie de la prise de décision, dans le Livre blanc d’EcoDDS. Mais il ne peut pas s’activer quand on est soumis à un environnement nouveau. L’effort demandé à chacun pour modifier ses comportements peut être un obstacle. Qu’est-ce que ça va nous coûter ? Et qu’est-ce que ça va nous apporter ? Une incitation positive va mettre du temps à se mettre en place. »

Mais petit à petit les lignes bougent. Des évolutions apparaissent. Dans l’habitat par exemple, la consommation d’énergie a chuté de 8 % en France sur les quinze dernières années. Les Français ont compris que l’isolation thermique et une meilleure utilisation du chauffage permettaient d’économiser de l’argent. Deux personnes sur trois cherchent aujourd’hui à réduire leur consommation en eau contre 52 % en 1995, démontre une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).

Il reste toutefois une large marge de progression. « Nos performances de tri sont très loin des moyennes d’Europe du Nord, déplore M. Charlemagne. Et ­elles stagnent. » Question de génération ?

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec EcoDDS.