Le président turc Recep Tayyip Erdogan, lors d’un meeting à Istanbul le 11 mars. | OZAN KOSE / AFP

Editorial du « Monde ». Chaque jour qui passe éloigne un peu plus la Turquie de l’Union européenne (UE). Le débat n’est plus seulement géographique, avec ces écoles de cartographes godillant autour de la question des limites du continent européen. Le débat est politique, bien sûr, et les insultes proférées ces derniers jours par le président Recep Tayyip Erdogan à l’adresse des Européens accentuent encore la fracture entre Ankara et l’UE. Cette dernière doit, au plus vite et unanimement, dire sa solidarité active avec ceux d’entre ses membres que M. Erdogan a traités d’une façon intolérable – à commencer par l’Allemagne. D’autant que le président turc a agi avec le dessein délibéré de provoquer.

La question de savoir si la France a eu raison ou tort d’autoriser la réunion publique tenue dimanche 12 mars, en Moselle, par le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, auprès de la communauté turque locale, est marginale. Le rendez-vous a été pris il y a plusieurs semaines et ne posait pas de questions de sécurité particulière. Il faisait partie de ces rencontres au cours desquelles des représentants du parti du président, l’AKP, mènent campagne dans l’immigration turque pour le oui au référendum de la mi-avril.

Dérive autoritariste

Cette consultation, qui s’annonce très serrée, doit entériner une réforme constitutionnelle renforçant considérablement les pouvoirs du président Erdogan. La Turquie, qui a réussi d’admirables réformes tout au long des années 2000 dans le cadre d’un système parlementaire, se doterait alors d’un régime présidentiel. Cette évolution parachèvera et habillera juridiquement la dérive autoritariste de M. Erdogan. Elle rapprochera le régime turc du modèle dictatorial moyen-oriental.

En dépit de toutes les difficultés faites à l’opposition turque, qui appelle à voter non le 16 avril, les partisans de M. Erdogan ne sont pas sûrs de l’emporter. Toutes les voix vont compter. L’AKP doit mobiliser au plus large. En surréagissant de façon délibérée aux difficultés rencontrées ces derniers jours par ses ministres envoyés faire campagne en Allemagne, aux Pays Bas ou ailleurs en Europe, le président turc sait ce qu’il fait. Il joue la victimisation chez lui, il titille le réflexe de fierté nationale à l’encontre des Européens, arrogants et « islamophobes », afin de rallier le maximum d’électeurs. Il veut aussi déclencher une réaction d’hostilité européenne à la Turquie.

Répondre fermement, mais intelligemment

D’où la série de provocations qu’il a lancées – « Le nazisme est toujours vivant à l’Ouest (…) ; La Haye est la capitale du fascisme », entre autres – afin de braquer les Européens. Mais sans doute est-il allé trop loin dans l’exercice. L’UE peut-elle passer outre et entretenir des relations « normales » avec un homme qui joue ainsi avec le négationnisme historique et la sensibilité de ses interlocuteurs ? L’UE peut-elle laisser la Turquie d’Erdogan menacer les Pays-Bas de « sanctions » ? La réponse est non.

Rien, ni les difficultés géopolitiques de la Turquie, ni le terrorisme dont elle est victime, ni les besoins d’une campagne électorale, ni l’aide qu’Ankara apporte à l’Europe dans la gestion des réfugiés syriens, rien ne justifie que les Européens se laissent injurier par M. Erdogan. Ils doivent lui répondre fermement. Mais intelligemment. L’interdiction des réunions électorales de l’AKP en Europe ne ferait que renforcer M. Erdogan dans la politique de répression continue de la liberté d’expression qu’il poursuit chez lui.