Campagne pour la légalisation du cannabis, à Zurich, en 2004. | RICHARD A. BROOKS / AFP

A quelques centaines de mètres de la gare Cornavin, à Genève, les employés de la boutique Tabac 21 s’activent. Il faut mettre en rayon les bouteilles de soda et nettoyer le sol. Sur la vitrine de l’échoppe est apposée une affiche vert et blanc : « Cannabis 100 % légal en vente ici ». Le drapeau national y côtoie la feuille de chanvre, produit que plusieurs buralistes suisses se sont mis à vendre depuis le début du mois de mars.

Derrière son comptoir, le gérant Resa Mohamadi ouvre une petite boîte blanche qui contient 5 grammes d’herbe à l’odeur puissante. Le client peut ainsi voir à quoi ressemble ce fameux produit, dont quatre variétés sont proposées. « Parfois, les gens m’expliquent qu’ils en ont besoin pour des raisons médicales mais dans la moitié des cas, cela ressemble à une utilisation récréative, explique-t-il. Si cela me pose un problème ? Pas du tout, parce que c’est tout à fait légal ! »

De fait, selon une ordonnance de 2011, le ministère de l’intérieur définit le cannabis comme une « plante de chanvre ou parties de plante de chanvre présentant une teneur totale moyenne en THC de 1,0 % au moins ». Le THC (tétrahydrocannabinol) est la principale substance psychotrope du cannabis. Par défaut, la législation suisse considère donc que du cannabis n’est pas une drogue tant que son taux de THC est inférieur à 1 % et peut être vendu légalement.

Dans le quartier, plusieurs autres boutiques offrent le même produit que celui de M. Mohamadi. Au 44, rue de Monthoux, l’employé explique qu’il vend entre cinq et dix boîtes par jour. Et à 70 francs suisses la boîte (65 euros), l’affaire est plutôt rentable, même s’il ne souhaite pas révéler le montant qui finira dans sa poche.

Infusion, gâteaux, cigarettes

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, de nombreux acteurs se sont positionnés pour investir le marché du cannabis légal. Avec un message : même privé de son pouvoir psychoactif, l’herbe reste intéressante à consommer dans la mesure où elle contient du cannabidiol (CBD). Les propriétés de cette molécule restent peu étudiées par les scientifiques. Mais selon Barbara Broers, chef du service de toxicologie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) interrogée début mars par la Radio Télévision suisse (RTS), il est surtout connu pour ses effets « antianxieux » et « calmants ».

En Suisse, plusieurs entreprises vendent désormais ce cannabis « light », à consommer en infusion, dans des gâteaux, à fumer ou à vapoter. Elles s’appellent DrGreen, Wallis’Roots ou Cannaliz. Jusqu’à présent, le marché se développait surtout en Suisse allemande, à Bâle et à Zurich. Mais depuis le 10 janvier, la société CBDLivraison a commencé à travailler en Suisse romande et fournit déjà une quinzaine de kiosques, dont celui de Resa Mohamadi à Genève.

« C’est de la folie, raconte Nicolas Perez, cofondateur de CBDLivraison. Depuis deux mois, nous avons déjà écoulé 500 kilos de CBD. La Suisse va devenir le nouvel Eldorado du cannabis ! » Il est vrai que la Confédération helvétique autorise un taux maximum de 1 % de THC, contre 0,3 % en Europe. Mais pour le moment, dans les rues de Genève et Zurich, les vendeurs n’ont pas remarqué un afflux de touristes étrangers venus acheter du cannabis légal.

Débat autour du taux d’imposition

Nicolas Perez veut y croire car cela fait deux ans qu’il prépare le lancement de son entreprise. Avec ses associés Renan Marasligil et Fabio Gentile, qui sont à l’origine des « Cannabis Clubs » en Espagne, cet ancien professionnel de l’événementiel a longuement fait pousser du chanvre et réalisé des croisements naturels, afin d’obtenir une plante avec un taux de THC inférieur à 1 % mais un taux de CBD qui peut atteindre 20 %. CBDLivraison affirme cultiver son chanvre en Suisse allemande et contrôler la chaîne du début à la fin.

Pour Nicolas Perez, pas sûr que les consommateurs de cannabis illégal se mettent à lui acheter du CBD. « Notre prix est sensiblement le même que celui du cannabis sur le marché noir, dont le taux de THC frôle parfois les 30 %, dit-il. Nous sommes mêmes moins chers. Mais j’ai surtout pas mal de clients qui sont malades et que le CBD, par son action antidouleur, soulage énormément. »

Pour les autorités suisses, en revanche, ce nouveau marché n’est pas sans poser de problèmes. Comment les policiers vont-ils savoir si la personne qu’ils interpellent consomme du cannabis légal ou illégal ? A Zurich, écrit le quotidien alémanique Blick, c’est le consommateur qui paiera la facture des tests de laboratoire afin de déterminer le taux de THC dans son cannabis.

Par ailleurs, les autorités helvétiques débattent du taux d’imposition à appliquer à ce cannabidiol. Nicolas Perez, de CBDLivraison, voudrait que son produit ne soit pas taxé comme le tabac, à près de 30 % ; c’est pourquoi il ne mentionne jamais, dans ses conseils d’utilisation, la possibilité de fumer son herbe. Mis à part ces ajustements fiscaux, il a confiance en l’avenir et envisage déjà une expansion à l’international. « Dès que les autorités françaises me donnent le feu vert pour vendre du cannabis légal, dit-il, j’ouvre une boutique à Paris ! »