Geert Wilders (à gauche) et Mark Rutte se préparent pour un débat télévisé, lundi 13 mars, avant les élections législatives de mercredi. | YVES HERMAN / AFP

C’était, pour beaucoup de Néerlandais, le point d’orgue d’une campagne électorale qui, jusqu’aux incidents entre la Turquie et les Pays-Bas du week-end dernier, se résume à un duel entre les deux hommes : le premier ministre Mark Rutte et le dirigeant d’extrême droite Geert Wilders s’affrontaient dans un débat télévisé, lundi 13 mars. La joute a pourtant été dénuée de toute surprise entre deux rivaux qui se connaissent sur le bout des doigts, furent membres du même parti et tentèrent même, il y a quelques années, de gouverner ensemble : une coalition de centre-droit dirigé par M. Rutte bénéficiait alors de « l’indulgence » au Parlement du Parti pour la liberté (PVV) de M. Wilders.

A la veille du scrutin qui doit décider, mercredi 15 mars, du renouvellement des députés de la Deuxième Chambre de La Haye, la donne et le ton ont changé. M. Rutte explique qu’il ne dirigera « pas » et «  jamais » avec le PVV, symbole du « mauvais populisme ». Il entend mettre un terme à « l’effet domino » qui a commencé avec le Brexit, s’est poursuivi avec l’élection de Donald Trump et pourrait continuer en France avec Marine Le Pen et en Allemagne avec la montée du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Risque de « chaos »

« Ces élections sont les quarts de finale pour empêcher ce mauvais populisme de l’emporter », a souligné le chef du gouvernement sortant, une alliance de libéraux et de sociaux-démocrates. « Non, pour moi, c’est une finale, contre les menteurs et ceux qui dépensent l’argent, à Bruxelles et en Afrique », a répliqué M. Wilders, qui maintient sa volonté de faire sortir son pays de l’Union européenne et de l’euro, et de fermer ses frontières. Lundi, il a toutefois dû concéder qu’il lui serait difficile de réaliser un point de son programme, l’interdiction totale du Coran.

Bénéficiant, au cours des derniers jours, d’un cadeau inattendu avec la crise diplomatique qui lui a permis de démontrer sa fermeté face au régime turc, M. Rutte a mis en garde ses concitoyens, dont 60 % n’ont apparemment pas encore fait leur choix entre les 28 formations qui se présentent au scrutin. Le premier ministre a évoqué le risque du « chaos » qui suivrait une victoire de son rival, même si celui-ci n’a pratiquement aucune chance de trouver des partenaires pour former une coalition. « Diriger un pays, c’est autre chose que de tweeter à partir de son canapé », a-t-il lancé. Au cours de la campagne, M. Wilders a déserté tous les débats, refusé la quasi-totalité des demandes d’interview et s’est contenté d’un programme tenant sur un feuillet A4. Pour M. Rutte, il s’agissait donc de convaincre les électeurs tentés par le candidat antisystème de ne pas gaspiller leur voix.

Réussira-t-il son pari ? Les derniers sondages paraissent marquer un recul du PVV. Longtemps crédité d’un score très élevé, il remporterait 23, voire 19 sièges (l’Assemblée nationale compte 150 députés). Le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) de M. Rutte en décrocherait de 23 à 27. « Même un siège d’avance suffirait, l’essentiel est d’empêcher Wilders d’arriver en tête, puis de s’incarner en victime du système parce qu’il ne pourrait pas gouverner », souligne un cadre du VVD. Il estime également qu’une défaite du dirigeant xénophobe ôterait un argument fort à tous ceux qui, en France et ailleurs, évoquent le caractère inéluctable de la montée des populismes.

Scrutin aussi serré que complexe

Pour une fois, les regards du monde entier se porteront sur les résultats d’un scrutin néerlandais. Il s’annonce, en toute hypothèse, aussi serré que complexe. Les premières estimations tomberont dans la soirée de mercredi, mais les résultats définitifs ne seront connus que dans la journée de jeudi, d’autant que, pour des raisons de sécurité, les bulletins seront comptés à la main.

Même s’il est très symbolique, le duel Rutte-Wilders ne sera pas le seul enjeu de cette élection. Dans le système proportionnel intégral en vigueur aux Pays-Bas, où une formation décroche un siège avec 0,7 des voix, c’est la possibilité de former, ou non, une coalition qui est rapidement scrutée. Et, manifestement, l’exercice ne sera pas simple. Derrière le VVD et le PVV, trois partis sont au coude-à-coude : les chrétiens-démocrates du CDA, les centristes réformateurs de D66 et la Gauche verte. Cette dernière pourrait, en définitive, être la seule vraie gagnante de l’élection : son nouveau dirigeant, Jesse Klaver, 30 ans, s’est incarné en principal leader de la gauche et pourrait quadrupler, voire quintupler, le score de son parti. Il ne compte que 4 sièges actuellement mais, à en croire les sondages, il en récolterait près de 20, au détriment des sociaux-démocrates, promis à une cuisante défaite. Proeuropéen, favorable à l’accueil des réfugiés, disciple de l’économiste Thomas Piketty, le « Trudeau néerlandais » appelle la gauche à s’unir, mais pourrait aussi intégrer une coalition dirigée par M. Rutte.