Pourquoi Sciences Po s’est-il engagé dans un « civic tech » avec Inventons 2017 et la création d’un incubateur de politiques publiques ?

Nous formons les responsables de demain dans le public et le privé, ce serait un crime de ne pas préparer nos étudiants à la révolution technologique ! S’il y a eu un retard de l’administration française à faire sa mue technologique, c’est qu’elle n’a pas reçu cette formation initiale. Sciences Po est un lieu suffisamment éloigné du pouvoir pour faire émerger l’innovation et en même temps assez proche de la société civile, de l’administration et des entreprises pour insuffler un vent nouveau.

Inventons 2017 est un laboratoire d’innovation démocratique imaginé dans le cadre de l’élection présidentielle. Les étudiants de l’Ecole d’affaires publiques conçoivent des programmes d’action politique sur la base de propositions de cent mille jeunes de moins de 30 ans à partir de plates-formes citoyennes. Il s’agit de transformer les préoccupations de la jeunesse française en solutions opérationnelles. Elles seront ensuite soumises aux candidats à la présidentielle.

L’incubateur, inauguré le 16 janvier 2017 [financé par la chaire numérique de Sciences Po soutenue par Facebook, Carrefour et la Caisse des dépôts] est un cycle au sein de l’Ecole d’affaires publiques pour former les étudiants à trouver des solutions innovantes et concrètes pour améliorer la vie des citoyens, des administrations et des entreprises. Une cinquantaine d’étudiants ont choisi cette voie. Sciences Po n’est ­naturellement pas une école de codeurs mais, dans le cadre de cet incubateur, ils travaillent avec des étudiants de l’école 42 et de Sup’Internet pour le design et le développement de plates-formes numériques.

« Le numérique a touché l’ensemble des citoyens, l’ensemble des entreprises également. Il reste à l’Etat à faire sa révolution, et devenir un “Etat plate-forme” numérique. »

N’y a-t-il pas un enjeu de privatisation de la vie publique dès lors que de grandes entreprises de la technologie financent ce genre d’initiatives ?

Le centre de gravité reste Sciences Po, une institution tierce où nous pouvons rapprocher différents acteurs, par exemple la Ville de Paris et Facebook. Cela est essentiel si on souhaite réconcilier les intérêts de toutes les parties — entreprises, société civile et administration — et s’assurer que la révolution numérique aille dans le sens du bien commun.

La révolution technologique est avant tout une révolution politique. Si nos institutions ne prennent pas le pli très rapidement, on se trouvera face à des situations prérévolutionnaires. Le numérique a touché l’ensemble des citoyens dans leur chair et dans leur pratique, l’ensemble des entreprises également. Il reste maintenant à l’Etat à faire sa révolution, et devenir un « Etat plate-forme » numérique.

De nombreuses plates-formes de « civic tech » se revendiquent apolitiques ou transpartisanes. Cette génération d’étudiants vous semble-t-elle moins politisée que ses aînées ?

De façon générale, la jeunesse n’est pas nécessairement dépolitisée, mais elle a perdu beaucoup d’espoir sur son destin collectif. Pour la première fois, le FN est en passe de devenir le premier parti parmi les jeunes. Il y a un vrai désenchantement, un rejet très fort non pas de la chose politique et de la notion de bien commun, mais des modes de scrutins et des partis traditionnels. Aujourd’hui, la politisation des jeunes passe essentiellement par les réseaux sociaux. Mais l’information n’est pas vérifiée sur ces réseaux, donnant lieu à une polarisation des débats. La civic tech offre justement des lieux de débats démocratiques et contradictoires, et gagnerait à s’allier également aux réseaux sociaux pour embrasser la population dans son ensemble.

Yann Algan, doyen de l’école des Affaires publiques de Sciences Po. | Sciences Po