L’enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur les émissions de polluants de certains véhicules Renault a conduit  à soupçonner « la mise en œuvre de stratégies frauduleuses depuis plus de sept ans ». | LOIC VENANCE / AFP

Le terme fatidique de « logiciel truqueur » n’est pas lâché mais c’est tout comme. Une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur les émissions de polluants de certains véhicules Renault, transmise au parquet en décembre 2016 et révélée le 15 mars par Libération, conduit à soupçonner l’installation par le constructeur « d’un dispositif frauduleux qui modifie spécifiquement le fonctionnement du moteur pour en réduire les émissions de NOx (Oxydes d’azote) dans des conditions spécifiques du test d’homologation. »

« La société a utilisé une stratégie ayant pour objectif de fausser les résultats des tests antipollution », conclut la répression des fraudes selon Libération. Autrement dit, Renault n’aurait pas fait autre chose que ce qu’a avoué en septembre 2015 Volkswagen et qui a déclenché le tremblement de terre du dieselgate : mettre en place une stratégie sciemment destinée à faire homologuer comme non-polluant un véhicule qui ne devrait pas l’être. Circonstance aggravante, la DGCCRF soupçonnerait, toujours selon Libération, « la mise en œuvre de stratégies frauduleuses depuis plus de sept ans ».

Les conclusions de la DGCCRF ont largement contribué à l’ouverture de l’information judiciaire le 12 janvier par le parquet de Paris visant Renault pour « tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués ». Trois juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris ont été nommés pour diriger l’enquête.

Documents compromettants

Cette investigation de la DGCCRF mettrait en cause quatre modèles Renault à motorisation diesel : la berline Talisman, le 4 × 4 urbain Kadjar, et les plus petits véhicules Renault Captur et Clio IV. Ces voitures ont été ciblées par les services des fraudes car la commission d’investigation indépendante, dite commission Royal, mise en place après l’affaire Volkswagen pour tester les véhicules roulant en France avaient repéré des anomalies inquiétantes lors de ses premières investigations début 2016.

Le 7 janvier, une perquisition des agents des fraudes au siège de Renault avait fait l’effet d’une bombe. Et la pêche avait été bonne. Les plusieurs centaines de pages accrochées au PV de la DGCCRF en attestent. Certains documents sont compromettants. Selon Libération, un échange de mail du 25 novembre 2015 entre des cadres dirigeants du constructeur ferait référence à un système de dépollution inopérant sur la route mais fonctionnant pendant les tests.

Parmi les modèles mis en cause, deux best-sellers, Captur et Clio IV

Parmi les modèles mis en cause sont ciblés deux best-sellers de Renault : Captur et Clio IV, la voiture la plus vendue en France. La DGCCRF estimerait d’ailleurs que, précisément, 898 557 automobiles équipées de systèmes de dépollution douteux circuleraient sur les routes de France. Un chiffre qui fait bondir du côté de Renault : « Les ventes de Captur et Clio n’atteignent pas ce niveau », assure un expert proche du constructeur.

La Clio mise en cause, une voiture qui répond aux normes dites Euro 5 (c’est-à-dire pas les plus sévères) s’était fait remarquer par ses piteux résultats quand elle avait été testée par la commission Royal en janvier 2016. « Elle ne passait même pas le test d’homologation standard, se souvient Charlotte Lepitre porte-parole de l’ONG France Nature Environnement et membre de ladite commission. Nous appelons d’ailleurs les pouvoirs publics à ordonner le retrait de la circulation de tous les modèles Renault concernés ou au moins à leur recalibration. »

« Ce qui est intolérable c’est que pendant ce temps la seule pollution aux oxydes d’azote fait 7 700 morts en France », ajoute Lorelei Limousin, représentante de l’ONG Réseau Action Climat à la commission Royal.

Le groupe assure ne pas avoir « enfreint les règles, européennes ou nationales »

Renault, de son côté, indique dans un communiqué avoir « pris connaissance d’un article déséquilibré paru ce jour dans la presse nationale. Le Groupe Renault n’entend pas commenter une instruction en cours et rappelle qu’aucun de ses services n’a enfreint les règles, européennes ou nationales, relatives à l’homologation des véhicules. Les véhicules Renault ne sont pas équipés de logiciels de fraude aux dispositifs de dépollution. »

C’est peu dire, malgré tout, qu’au siège de Boulogne-Billancourt on est préoccupé. Les dirigeants sont furieux de n’avoir toujours aucun accès au dossier et aux documents les mettant en cause. « Renault ne peut confirmer la véracité, l’exhaustivité et la fiabilité des informations contenues dans l’article de Libération », explique le constructeur.

Même si, en coulisse, on minimise une enquête « qui n’apporte rien de nouveau » et on souligne que depuis la commission Royal, la calibration des nouvelles voitures a été modifiée, l’atmosphère rappelle les pires crises de l’histoire de Renault, comme celle des espions chinois en 2011.

Un cabinet de communication spécialisé dans le déminage des affaires sensibles, déjà à l’œuvre lors de cette précédente affaire, a pour le coup été mandaté afin de conseiller la direction du groupe.