Jade Lechaux, intervenante en action sociale, discute avec des demandeurs d'asile, le 8 mars 2017 au CAO de Cancale, ouvert après le démantèlement de la jungle de Calais. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

La brume dans laquelle une cinquantaine de Soudanais étaient arrivés à Cancale, le 24 octobre 2016, au premier jour du démantèlement de la « jungle » de Calais, s’est dissipée avec les prémices du printemps. La trentaine d’hommes encore présents ces 7 et 8 mars s’apprêtent à quitter le centre d’accueil et d’orientation (CAO) temporaire de la petite ville d’Ille-et-Vilaine au plus tard vendredi 17 mars, jour de sa fermeture.

Ils sont quelques-uns ce mardi dans le hall à téléphoner ou à discuter. Si la séparation prochaine est dans toutes les têtes, elle ne s’exprime pas ou peu chez ces hommes qui en ont vécu tant. Mais cette fois, ils ont pu être sécurisés, accompagnés dans leur projet migratoire.

« Le CAO a rempli sa mission de trouver un espace de répit pour construire un projet, se tourner plus vers le futur », dit Damien Bazy, le coordinateur du centre géré par Coallia, l’agence mandatée par l’Etat. Lui et son équipe s’activaient ces derniers jours à « élaborer la sortie de chacun ». 

90 % ont fait une demande d’asile en France

La grande majorité (90 %) des cinquante-quatre hommes qui ont été hébergés à Cancale ont fait une demande d’asile en France, quatre ayant choisi de quitter le CAO – prévenus des conséquences de leur décision –, et deux autres, d’effectuer un retour volontaire au Soudan. Un Afghan avait par ailleurs été redirigé vers un autre centre d’accueil dans les premiers jours de son arrivée, pour une question de compatibilités de langues.

Quatorze personnes se trouvent d’ores et déjà dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Les trente-trois encore présentes à Cancale attendaient, ces derniers jours, un courrier de l’OFFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) qui devait leur signifier leur prochaine destination. En raison d’un manque temporaire de places en CADA, les intéressés seront orientés vers d’autres CAO gérés par Coallia. « Aucun ne se retrouvera dehors », assure Jean-Marie Paul, 32 ans, l’un des deux intervenants en action sociale salariés de l’association – avec Jade Lechaux, 21 ans, en contrat à durée déterminée jusqu’à fin mars.

Ouvert le 24 octobre, le CAO de Cancale installé dans les locaux d’un ancien hôpital gériatrique devait initialement fermer ses portes trois mois après. A la demande de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, il a été prolongé jusqu’à la mi-mars. « Afin d’avoir le temps d’entamer toutes les procédures », explique Damien Bazy.

Une vieille horloge dans le CAO de Cancale, le 8 mars 2017. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

« Il y a eu un afflux de dossiers à traiter », précise Jean-Marie Paul. Les inquiétudes qui s’étaient fait jour courant novembre quant au « dublinage » de plus de 80 % des migrants et aux dossiers bloqués à Calais ont été levées après la visite de Bruno Le Roux, à la mi-janvier. Les résidents du CAO ont pu exposer leurs craintes au ministre de l’intérieur.

Ces hommes avaient accepté de quitter Calais en ayant reçu l’assurance qu’ils ne seraient pas renvoyés dans le pays d’entrée dans l’Union européenne où ils avaient laissé leurs empreintes, un engagement du ministre de l’intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve.

A la suite de la venue de M. Le Roux, tous ont vu leur dossier requalifié en procédure normale. Ils ont alors pu débuter les démarches de demande d’asile. Ils ont eu trois semaines pour constituer leur dossier à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et faire le récit de leur histoire, qui sera évalué par les agents de l’office lors d’un entretien d’une heure environ, sésame vers l’obtention du statut de réfugié. Ils attendaient leur convocation.

La Direction générale des étrangers en France (DGEF) a adressé le 22 février un mail « invitant » les préfets, et « s’agissant des seuls migrants provenant de Calais actuellement hébergés en CAO », « à prendre la responsabilité de leur demande d’asile », même s’ils sont enregistrés ailleurs en Europe. La DGEF précise que « cette orientation exceptionnelle » est « strictement limitée » aux « seuls migrants de Calais » ayant rejoint un CAO « avant le 27 octobre 2016 ».

Un total de 85 244 demandes d’asile a été enregistré en 2016 en France, soit une hausse de 6,5 % en un an ; 35 % des requérants l’ont obtenu.

« Je rêve d’aller à Rennes 2 »

Dans cette dernière ligne droite avant la fermeture, Jean-Marie Paul et Jade Lechaux, épaulés par Morgane Buant, stagiaire en 3e année de formation d’éducatrice spécialisée, sont occupés à rédiger les « notes sociales », qui retracent l’historique des démarches effectuées et en cours pour chaque migrant. Elles seront transmises avec copie du dossier aux établissements où chacun sera orienté. Là, d’autres travailleurs sociaux prendront le relais.

Jeune professionnelle, Jade Lechaux, conseillère en économie sociale et familiale, juge « très riche son expérience, humainement ». Elle avait « juste fait un peu de bénévolat à Calais et au camp de la Linière à Grande-Synthe » avant de souhaiter accompagner les migrants de « façon plus professionnelle ».

Jade Lechaux, intervenante en action sociale à l'association Coallia, procède à l'inventaire des fournitures du CAO de Cancale, le 7 mars 2017, une semaine avant sa fermeture. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

Pour Jean-Marie Paul, éducateur spécialisé de formation, détaché de l’HUDA (hébergement d’urgence des demandeurs d’asile) à Rennes, et qui avait précédemment travaillé auprès de mineurs isolés étrangers, « la découverte des différentes facettes de l’accompagnement administratif d’adultes » s’est révélée « très intéressante ». Pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié lors de leur séjour à Cancale, « on a pu commencer un travail d’insertion avec l’ouverture de droits (CAF, RSA, Pôle emploi…) ».

L’inventaire du mobilier des chambres déjà vides est l’occasion pour l’équipe de se remémorer le parcours de certains. « Je rêve d’aller à Rennes 2 », disait Moussa*. Diplômé d’anglais au Soudan, parlant l’arabe en plus de sa langue maternelle le zaghawa, « il voudrait devenir traducteur et aller à l’université pour être diplômé en français langue étrangère ». Jean-Marie Paul lui a expliqué qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une bourse étudiante, étant âgé de plus de 26 ans, et qu’il était « plus réaliste » qu’il recherche « un travail alimentaire » avant tout.

Jean-Marie Paul, intervenant en action sociale chez Coallia, lors de l'inventaire des meubles et fournitures du CAO de Cancale, le 7 mars. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

Pour sa part, Abdel*, qui a obtenu à Cancale le statut de réfugié pour une période de dix ans renouvelable, a rempli les conditions pour bénéficier du dispositif « Garantie jeune ATE » : six mois de cours de français intensifs dispensés par le CLPS (centre de formation pour adultes) de Rennes, suivis d’un an de formation professionnelle avec une allocation mensuelle équivalente au RSA. « Il pense se former à la mécanique », dit Jean-Marie Paul.

« Je trouve que le dispositif CAO a du sens », souligne Damien Bazy, qui a travaillé dans l’un des premiers centres ouverts en France, en octobre 2015, à La Guerche-de-Bretagne, après le démantèlement de la zone sud de la « jungle » de Calais :

« Nous sommes tenus d’accueillir les personnes qui arrivent dans les meilleures conditions, en assurant le respect de leur dignité. »

Selon lui, ce dispositif, considéré comme « d’urgence », « mériterait d’être pérenne » :

« Il a sa place dans le parcours d’un exilé, au lieu de le laisser livré à lui-même sans pouvoir aborder toutes les conséquences de ses choix. En CAO, il y a un accompagnement sanitaire et social, c’est un espace essentiel. »

Près de quatre cents CAO répartis sur le tout le territoire (hors Ile-de-France et Corse) ont accueilli plus de 13 300 personnes depuis octobre 2015. Plus de 7 000 d’entre elles l’ont été dans le cadre du démantèlement du camp de la Lande.

« Apport inestimable des bénévoles »

Damien Bazy souligne « l’apport inestimable des bénévoles ». Cours de français que certains suivaient avec assiduité les derniers jours, activités sportives, sorties au Mont-Saint-Michel, à Saint-Malo, etc., la solidarité a été au rendez-vous. Mahfuz a obtenu son diplôme d’études en langue française (DELF) « avec de très bonnes notes ». « J’essaye toujours. Je ne me dis pas “c’est difficile le français”, même si ça l’est ! », lance-t-il dans un sourire.

Les exilés tenaient à remettre à chacun de la cinquantaine de bénévoles qui les ont côtoyés depuis quatre mois et demi « un certificat de remerciement », en un renversement symbolique. Cette fois, ce sont eux qui délivrent un papier. Ils étaient occupés ce mercredi à décider de la mise en page du texte qu’ils ont rédigé, Damien Bazy leur ayant proposé son aide. Ils se chargeront ensuite des frais d’impression.

« La Terre est ma patrie, et l’humanité ma famille (…). Cancale restera toujours dans nos cœurs. Même lorsque nous aurons 90 ans, nous garderons ce joli mot de Cancale dans notre mémoire. Merci pour tout. »

« En CAO, on ne reste pas, on les prépare », rappelait, en janvier, le maire UDC de Cancale, Pierre-Yves Mahieu, qui « communiquera après la fermeture du CAO ».

L’adjointe aux affaires sociales de la ville, Suzanne Mainguy, ne cache pas son enthousiasme devant cette « belle réussite » qu’elle impute « à des acteurs associatifs responsables, ayant toujours respecté ce qui a été mis en place avec la ville et l’Etat ». Les exilés « ont été formés à s’envoler », « ils sont plus armés pour faire face aux difficultés, certains vont avoir la capacité de s’intégrer. » « On est loin des clichés », dit-elle, encore tout au souvenir de la représentation théâtrale à laquelle ils ont participé récemment avec des lycéens. « Ils avaient complètement leur place. »

A quelques jours de la fermeture du CAO de Cancale, on devinait tous les acteurs de cette rencontre emplis d’une discrète émotion, alors qu’une nouvelle période d’incertitude s’ouvre pour les exilés.

* Les prénoms ont été modifiés.

Jean-Marie Paul termine le tour des chambres du CAO. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde