Le candidat d’extrême droite Geert Wilders, le 13 mars, deux jours avant les élections législatives aux Pays-Bas. | YVES HERMAN / REUTERS

« Wilders ne fait qu’aggraver les choses ; ce n’est pas malin de traiter les musulmans de terroristes » : Abdi Yusuf est l’un des imams d’une mosquée de Rotterdam. En ce vendredi 10 mars, ce Somalien vient de prêcher devant quelques dizaines d’hommes au rez-de-chaussée d’un immeuble. Arrivé voici plus de vingt ans aux Pays-Bas, il constate que le climat s’est détérioré au fil des années et des discours islamophobes de Geert Wilders, l’opposant d’extrême droite (Parti pour la liberté, PVV), en lice pour les législatives du 15 mars face au premier ministre sortant, le libéral Mark Rutte.

A l’instar d’Abdi Yusuf, les musulmans, arrivés de fraîche date ou de nationalité néerlandaise, se plaignent de l’impact des tweets et autres diatribes du dirigeant du PVV sur le « vivre ensemble » dans la cité portuaire.

M. Wilders, qui s’en est pris tout particulièrement aux Marocains – au point d’être condamné pour ses propos – n’est pas le premier à jouer sur la corde islamophobe. Avant lui, le populiste Pim Fortuyn, assassiné en 2002 par un militant de la cause animale, avait inauguré ce genre de slogans.

M. Wilders les a systématisés, au point d’en faire l’un de ses principaux angles d’attaque, avec les saillies anti-européennes. Une offensive confortée par la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle aux Etats-Unis, qui ne laisse personne indifférent dans les rues de Rotterdam, où la moitié de la population est d’origine étrangère.

Durcir le ton

Les réactions sont ambivalentes au sein de la communauté musulmane. Certains, à l’image des fondateurs d’origine turque du parti Denk, n’hésitent pas à durcir le ton, pour contrer M. Wilders et ses soutiens. Cette toute jeune formation pourrait faire élire quelques députés, mercredi.

« De jeunes électeurs en perte de repère, se sentant blâmés par l’islamophobie ambiante, peuvent être tentés par un tel vote », dit Marianne Vorthoren, la directrice de l’organisation Spior, qui fédère soixante-dix institutions islamiques, dont une trentaine de mosquées locales. « Les attentats en France et en Belgique ont contribué à tendre encore la situation. Les musulmans ont à la fois peur d’être touchés par le terrorisme, et d’être pris comme boucs émissaires », regrette cette jeune convertie, dont le premier contact avec l’islam remonte à un voyage en Turquie, à la fin des années 1990.

D’autres craignent le repli communautaire et la polarisation de la vie politique autour des questions d’intégration. « Ce genre de parti n’est pas la solution », dit une élue travailliste d’origine marocaine, Fatima Talbi, tout en reconnaissant que ses deux filles sont les premières à être ébranlées par les charges à répétition de M. Wilders. Pour elle, cependant, la modération doit rester de mise :

« La bataille doit se mener au centre avec les organisations néerlandaises qui veulent défendre la diversité, dans un esprit démocratique et ouvert. Il y a des règles à respecter pour vivre ensemble. »

Composer avec les membres du conseil municipal

A Rotterdam, le maire de la ville, Ahmed Aboutaleb – le premier musulman désigné à la tête d’une métropole européenne en 2009 – plaide avec force en ce sens. « C’est quelqu’un de très engagé et d’habile, susceptible de faciliter le dialogue en dépit d’un contexte de plus en plus tendu », observe le professeur d’histoire culturelle Willem Frijhoff, de l’université Erasme.

Lire l’entretien avec avec l’historien Willem Frijhoff : « Les Pays-Bas se sont construits par oppositions successives au fil des siècles »

Mais le bourgmestre – désigné par la Couronne et non élu – doit lui aussi composer avec les membres du conseil municipal, qui n’hésitent pas à emboîter le pas à M. Wilders. Ce sont les héritiers de Pim Fortuyn sur les listes du parti Leefbaar Rotterdam, et ils pèsent lourd localement, comme le constate Jacob van der Blom, le directeur de la mosquée Essalam, l’une des deux plus grandes de la ville avec sa rivale turque.

Inauguré en 2010, financé par la famille royale de Dubaï, l’édifice est très fréquenté, par des croyants d’origine marocaine en majorité, qui vivent dans les quartiers sud de la cité. Ses responsables aimeraient investir dans une école, afin d’élargir l’enseignement du coran pendant le week-end :

« A ce jour, les enfants occupent des salles de la mosquée, mais nous voudrions créer une vraie école ailleurs dans le quartier, dit Jacob van der Blom. Nous n’osons même pas déposer une demande d’autorisation, étant donné la pression des élus islamophobes. »

Pour lui aussi, une victoire de Geert Wilders ne ferait qu’empirer la situation. Celle de Mark Rutte permettrait, au contraire, de souffler.