Nous sommes un jeudi après-midi, dans une petite cantine du 15e arrondissement de Paris. D’entrée de jeu, Christian Page tient à faire visiter sa « maison » en ouvrant son sac : lingettes, peigne, déodorant, cotons-tiges, sérum physiologique, dentifrice, duvet… Et dessous : batterie, lampe frontale, clé de 13…

Des objets essentiels pour rester propre et surtout pour survivre dans la rue, car « le 115, c’est vraiment pas ça », poursuit-il en montrant des photos d’hébergement. Rencontrer les médias, il commence à en avoir l’habitude, grâce notamment à l’utilisation qu’il fait de Twitter.

Christian Pages. | SOFIEN MURAT

Repéré sur le réseau social par la presse écrite comme par la télévision, il a notamment dénoncé l’arrosage de ses couvertures par un agent de la Ville de Paris, Tweet qui a été largement partagé. Du suivi de l’actualité politique au coup de gueule sur l’état des centres d’accueil, en passant par la chasse aux trolls, le fil Twitter de Christian Page est un mélange étonnant d’humour, d’espoir et de révolte.

Voici donc plusieurs mois qu’il est régulièrement sollicité par les journalistes pour parler de la condition des gens à la rue. Au point d’être sans doute devenu l’un des SDF les plus connus de France. « Je ne suis pas un porte-parole, je suis juste engagé pour la cause des sans-abri », explique cet ancien sommelier, devenu SDF en avril 2015 au terme du fameux triptyque divorce-perte d’emploi-expulsion.

« Je suis un résistant »

« 501 personnes sont mortes dans la rue en 2016, 497 en 2015 : c’est plus que les attentats. On ne devrait pas mourir comme ça en France », dénonce-t-il. Christian Page regrette le manque de représentants de la cause des SDF : « Depuis la mort de Coluche et de l’abbé Pierre, plus personne ne porte leur voix. » Et de décrire la vie quotidienne de son monde : « Je suis un résistant. La vie dans la rue est une vie de partage : si on ne s’aide pas entre nous, c’est la mort assurée. »

Un tweet signé Christian Page | DR

Créer de la solidarité et du lien – notamment grâce à Twitter – pour trouver des petits jobs ou bien redistribuer ce qu’on lui donne, voilà ce qui le fait tenir. Et surtout décrire, faire connaître, sensibiliser sur la condition des sans-abri… Bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA), Christian Page effectue également des petits travaux occasionnels auprès de particuliers plutôt que faire la manche. « Tu ne peux pas travailler quand tu es dans la rue, mais seulement vivre de petits boulots d’appoint », dit-il.

« Le paysage politique va exploser »

A l’approche des élections, qu’attend-il des candidats et comment juge-t-il cette campagne ? « Aucun candidat ne parle vraiment des questions de logement et d’hébergement », regrette-t-il, avant de proposer quelques pistes, citant l’abbé Pierre : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple. Mais pour ça, il faudrait une vraie volonté politique. »

« Le paysage politique va exploser. Il y a une grande précarité dans la société, on tend vers une société de stigmatisation opposant les gens entre eux », ajoute l’homme de la rue, rejetant la responsabilité de cette situation sur l’extrême droite : « La haine amène la haine. »

Finalement, Christian Page ne souhaite qu’une chose : « Que l’Etat respecte la loi, notamment l’ordonnance du 11 octobre 1945 sur la possibilité de réquisitionner des logements vacants et l’article L.345-2-2 du code de l’action sociale sur l’hébergement d’urgence des personnes à la rue. »

Malgré tout, il garde espoir : « J’y arriverai, je le sais. Je vais m’en sortir, c’est écrit. »

Sofien Murat (Reporter citoyen)

Paroles de sans-voix, un projet original

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).

Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.