Arborant toques et tabliers, carnet de notes ou smartphone à portée de main, les douze élèves de la licence professionnelle design et art culinaire de l’université de Cergy-Pontoise sont prêts à entamer le premier module de ce mois de mars.

Sur les plans de travail, certains ustensiles ou ingrédients sortent de l’ordinaire. Par exemple, des pipettes ou des bocaux contenant des agents de texture – comprenez des produits susceptibles de modifier la consistance d’un plat. Mercredi 15 mars, le chef et professeur Sylvain Lacroix, qui s’intéresse de près aux propriétés des aliments et à leurs transformations en cuisine, vient présenter les techniques de cuisine moléculaire.

Après avoir donné aux élèves quelques repères théoriques sur la chimie de la cuisson et la variété des réactions possibles selon la teneur en protéines des viandes, place aux démonstrations. La petite promo constate qu’on peut réaliser des mousses sans une once de crème. Ou présenter des champignons sous forme de galettes en les imprégnant d’un liquide d’alginate de sodium, un gélifiant à base d’algues brunes.

Savoir adapter les pratiques à bon escient

A chaque étape de la séance, Sylvain Lacroix invite les participants à réfléchir aux situations dans lesquelles ils auraient recours à ces techniques. Car le but n’est pas de les utiliser à tout bout de champ, mais de savoir adapter leurs pratiques à bon escient. « Présentés ainsi, des champignons seront bien plus faciles à servir pour un banquet de deux cents invités », suggère-t-il. L’une des élèves, Juliette Chêne-Ruiz, imagine déjà une série de burgers végétariens, et précise : « Sans ce procédé de sphérification il aurait fallu utiliser des œufs pour lier les champignons, ce qui changerait leur saveur. Là, on conserve le produit au naturel, c’est un gain sur le plan gustatif. »

Ne jamais dissocier le travail sur les couleurs et les structures des plats d’une recherche de nouvelles saveurs, tel est le principe essentiel de cette licence portée par l’université de Cergy-Pontoise et l’Ecole supérieure des arts appliqués Duperré. « Le design culinaire ne se réduit pas au stylisme, loin de là. Cela relève plutôt d’une démarche d’architecte, avec une réflexion globale sur les produits, de leur provenance au dressage des assiettes », souligne Hervé Lhermet, le responsable du cursus.

C’est en réunissant des groupes de BTS cuisine et de BTS design lors d’ateliers facultatifs que ce professeur en production culinaire a eu envie de lancer, en 2014, cette formation pluridisciplinaire, l’une des rares du genre dans l’Hexagone, avec celle proposée par l’Ecole supérieure d’art et de design (ESAD) de Reims.

« Apporter une touche de créativité »

A Cergy, les promotions « accueillent des jeunes issus de filières restauration comme de filières artistiques, ce qui enrichit les interactions », précise M. Lhermet. A côté de cours de gestion, de conférences sur les nouvelles tendances ou les boissons du monde, les élèves participent à des ateliers et montent des projets collectifs.

Pour le 17 mars, ils sont chargés d’élaborer un menu pour accompagner des thés que leur a confiés maître Tseng, l’une des plus grandes spécialistes en la matière. A travers ces rencontres et ces variations, l’objectif est de « former des profils qui apportent une touche de créativité au métier », espère le directeur du cursus.

Après une solide formation en hôtellerie-restauration (bac pro cuisine puis BTS à l’école Grégoire-Ferrandi), doublé de deux ans d’apprentissage chez Hélène Darroze, Clara Laurent a choisi ce programme pour « casser » ses habitudes. « L’essentiel des licences accessibles se focalise sur le management. Or, la question qui me préoccupe, si j’ouvre un jour mon restaurant, c’est d’offrir aux clients une véritable expérience, qui leur donne envie de revenir. Ici, on travaille sur le goût, le geste et les traditions, en s’inspirant d’autres métiers d’art », s’enthousiasme l’étudiante de 22 ans, citant un atelier autour de techniques de vannage appliquées à la découpe de carottes.

Des designers culinaires pour un marché très concurrentiel

Ses horizons s’élargissent aussi grâce à son contrat en alternance qu’elle a décroché chez Ladurée. Trois jours par semaine, au sein du service de recherche et développement, Clara Laurent participe aux réflexions et aux tests menés pour faire évoluer les cartes des vingt-sept restaurants du groupe et analyser la demande des clients aux quatre coins du monde.

« Aujourd’hui, l’industrie alimentaire n’est plus la seule à faire appel à des designers culinaires. Les traiteurs et les pâtissiers de luxe ont besoin de cette ouverture pour se démarquer sur un marché très concurrentiel », précise M. Lhermet. Parmi ses élèves, cinq sur douze sont ainsi en contrat chez des traiteurs. Mais les opportunités peuvent aussi se situer dans des secteurs connexes.

Lucie Lorrain, par exemple, rédige des recettes et organise des prises de vue dans une entreprise de webmarketing. « J’ai toujours été passionnée de cuisine. Après la classe de troisième, j’avais même hésité à suivre une filière professionnelle, et c’est finalement lors d’un stage en licence d’arts plastiques que j’ai découvert le design culinaire, et donc la possibilité de me rapprocher de la gastronomie. » Dans un monde complexe, le hasard et la passion peuvent tracer des chemins inattendus.