Le MBA se présente comme un diplôme accélérateur de carrière, une formation qui permet, grâce à de nouvelles compétences, un nouveau réseau et un regain de confiance en soi, de franchir des barrières. Les femmes, qui souffrent bien souvent d’un manque de reconnaissance en entreprise, devraient être les premières à utiliser cet outil. Et pourtant, la situation est exactement inverse. Elles ne constituent que 32 % des élèves des MBA d’Europe de l’Ouest, selon les chiffres de l’organisme accréditeur AACSB.

Les raisons de ce déséquilibre sont variées. Ce sont d’abord des questions d’arbitrage et de perception, qui conduisent beaucoup de femmes à « renoncer au MBA », comme le montre une étude menée par l’université australienne Macquarie. « Le conflit entre travail et vie personnelle est ressenti de manière plus aiguë par les femmes, alors que celles-ci passent en moyenne plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants et continuent de prendre à leur charge une part disproportionnée des tâches ménagères », résument les chercheurs. Gérer ce conflit tout en s’engageant dans un MBA semble, pour beaucoup de femmes, « trop difficile », d’autant que, d’après cette enquête, « les femmes ont tendance à considérer le MBA comme un temps pour elles, un sacrifice vis-à-vis de leur famille, quand les hommes l’envisagent comme du temps de travail, une obligation professionnelle ».

Une question d’éducation

Entrent également dans la balance l’aspect financier et la prise de risque qui lui est associée. « C’est un gros investissement, et il faut renoncer à un salaire pendant un an. Ce que je constate, c’est que beaucoup de femmes, à cause de leur éducation, se montrent plus inquiètes que les hommes par rapport à ce pari sur l’avenir. Les candidats hommes se font plus confiance », remarque Caroline Diarte, directrice de Fortuna Admissions, un cabinet qui conseille les postulants en MBA.

Mais si les femmes s’interrogent davantage sur la rentabilité d’un tel diplôme, c’est que, de fait, leurs carrières ne sont toujours pas les mêmes que celles de leurs collègues masculins. Plusieurs enquêtes le mettent en évidence, comme celle menée par le cabinet Catalyst auprès de 650 diplômés de MBA d’Europe : pour un même secteur et une même fonction, les femmes de cette étude gagnaient, lors de leur premier emploi post-MBA, 4 255 euros de moins par an que les hommes. Soit une différence de 15 %. Cinq ans plus tard, l’écart était de 36 304 euros.

Ces facteurs n’expliquent pas tout. divers travaux de recherche anglo-saxons ont montré que le MBA véhiculait une image de diplôme culturellement masculin. « Historiquement, les cursus des MBA mettent l’accent de manière démesurée sur les méthodes quantitatives, les statistiques, la stratégie, qui sont dans nos sociétés associées à la masculinité, et à une manière très traditionnelle de faire du management », pointe Ruth Simpson, professeure de management à Brunel University, en Grande-Bretagne.

Manque de modèles féminins

Cette « masculinité » du MBA transparaît aussi dans les corps professoraux : à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), 83 % des professeurs sont des hommes, d’après les chiffres récoltés par le Financial Times pour son classement des MBA. A HEC, ce chiffre est de 81 %. Pas facile, dans ces conditions, de se projeter en tant que femme dans une telle formation.

« Les femmes sortent plus souvent d’un MBA avec une nouvelle vision d’elles-mêmes, une nouvelle façon de penser, quand beaucoup d’hommes ont surtout acquis de nouveaux savoir-faire », affirme la chercheuse Ruth Simpson

« Mais si peu de femmes françaises font des MBA, c’est que beaucoup ont du mal à s’imaginer en haut de la pyramide, parce qu’elles manquent de mentors et de modèles féminins de réussite en entreprise », estime pour sa part Ondine Suavet, 31 ans, passée par l’Insead, et qui a créé sa start-up dans le domaine de l’énergie. Elle raconte que le MBA lui a « ouvert les yeux » sur les barrières que se mettent les femmes. « En cours, on est obligé de s’affirmer. On apprend à décrypter le langage corporel, on comprend pourquoi les femmes sont souvent en posture de repli, ou négocient mal leur salaire. Cela m’a clairement donné confiance en moi, et je n’aurais jamais lancé ma boîte sans cela. En fait, le MBA est un excellent outil d’“empowerment” [acquisition du pouvoir] féminin. »

« Le processus de transformation et d’évolution personnelle induit par le MBA est encore plus fort chez les femmes que chez les hommes », confirme la chercheuse Ruth Simpson, qui a étudié ce phénomène. « Ce que l’on constate, c’est que les femmes ressortent bien plus souvent avec une nouvelle vision d’elles-mêmes, une nouvelle façon de penser, quand beaucoup d’hommes ont surtout acquis de nouveaux savoir-faire. »

Bourses dédiées

Catherine Chassanite, du pôle carrière d’Audencia, insiste de son côté sur les liens créés à l’occasion de la formation. « C’est un moment où beaucoup de jeunes femmes tissent des réseaux forts de solidarité féminine, où elles peuvent s’aider, se rassurer sur le fait qu’elles méritent de postuler à tel poste ou demander tel salaire. » Dans cette école nantaise, le MBA est particulièrement féminisé, avec, depuis quelques années, entre 40 % et 45 % de participantes. « Il y a un effet vertueux, les femmes en parlent à d’autres femmes », analyse-t-elle. Et de fait, si les femmes sont en minorité, elles le sont un peu moins qu’avant. « Nous voyons une lente évolution positive, constate Tim Mescon, chef du bureau d’AACSB. Il y a dix ans, on était autour de 25 % de femmes, contre un tiers aujourd’hui. Le nombre de doyennes et de professeures augmente aussi, petit à petit. »

Au sein des MBA, ces questions sont de plus en plus abordées. « Avant, nos participantes refusaient les cours spécifiques pour les femmes, elles ne voulaient pas être traitées différemment, affirme Ralf Boscheck, directeur du MBA de l’IMD de Lausanne, en Suisse. Désormais, nous avons cette demande. Nous organisons pour la deuxième fois une conférence avec des femmes qui travaillent dans des secteurs masculins, comme l’industrie chimique, et qui viennent témoigner. »

Par ailleurs, des bourses dédiées aux femmes se développent, dans les écoles ou dans le privé, comme celles proposées par la fondation Forté. Depuis 2001, celle-ci a attribué 85 millions de dollars [près de 80 millions d’euros] à 4 000 candidates. Certaines institutions vont plus loin, comme la business school de l’université du Maryland, aux Etats-Unis. ­Depuis 2015, cette école a lancé diverses actions en direction des femmes. Avec un objectif simple : atteindre, en 2020, la parité dans son MBA.

Un supplément et un salon du « Monde » pour tout savoir sur les MBA

Retrouvez, dans « Le Monde » daté du jeudi 16 mars, un supplément spécial « Universités et grandes écoles » de 12 pages consacré aux masters of business administration (MBA), progressivement mis en ligne sur notre rubrique Le Monde.fr/mba.

Samedi 18 mars, « Le Monde » organise la 7e édition de son MBA Fair, au Palais Brongniart, Place de la Bourse, à Paris. L’occasion de rencontrer des responsables de 35 cursus de MBA et executive masters, en France et à l’étranger. Plus d’informations et préinscriptions (recommandées) sur Mbafair-lemonde.com.