Le plus jeune Etat d’Afrique, créé de la partition du Soudan en 2011, a officiellement déclaré, le 21 février, l’état de famine dans le pays. Interpellées par Juba, les Nations unies ont appelé à l’aide internationale. C’est plus discrètement que le ministère du travail et des services publics a publié, le 2 mars, une circulaire annonçant l’augmentation du prix des permis de travail pour tous les travailleurs étrangers.

Trois tarifs ont été annoncés, calculés en fonction du niveau de compétence et de la durée prévue sur le territoire : 10 000 dollars (9 400 euros), 2 000 dollars et 1 000 dollars. La circulaire du gouvernement soudanais est cependant très floue. Les « professionnels » devraient s’acquitter de 10 000 dollars, les « ouvriers » de 2 000 dollars et les « journaliers » de 1 000 dollars.

Particulièrement touchés par cette mesure, les travailleurs des ONG internationales, dont le permis coûte aujourd’hui 100 dollars par an et par personne, devront s’acquitter de 10 000 dollars. « Nous ne pourrions pas supporter une telle hausse des coûts », assure Rebeckah Piotrowski, directrice du programme d’Action contre la faim au Soudan du Sud. Les organisations non gouvernementales exigent des clarifications du gouvernement sur les modalités d’une telle décision et espèrent son abandon.

Diversifier les sources de revenus

Juba s’est justifié en arguant que cette disposition « vise à augmenter les revenus de l’Etat », a déclaré le ministre de l’information sud-soudanais à l’Associated Press. Le budget du Soudan du Sud pour 2016-2017, publié en octobre 2016, mettait en exergue la nécessité de diversifier les sources de revenus publics. Le pétrole représente en 2016 plus de 95 % des recettes publiques, la quasi-totalité des exportations du Soudan du Sud et environ 60 % de son produit intérieur brut (PIB), selon la Banque africaine de développement.

Un argumentaire qui ne satisfait pas et sera difficilement compatible avec la promesse du président Salva Kiir faite à la mi-février de garantir l’accès des humanitaires à tout le pays. « Les frais demandés sont clairement exorbitants et la décision tout à fait choquante, surtout dans la situation actuelle de famine », témoigne Elizabeth Deng, chercheuse spécialiste du Soudan du Sud à Amnesty International, convaincue que le gouvernement veut tirer profit de la crise humanitaire qu’il a en partie créée. Une idée partagée par Marc Lavergne, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de la Corne de l’Afrique : « L’humanitaire est une ressource pour le gouvernement et l’a toujours été, a-t-il expliqué dans un Facebook Live du Monde Afrique mardi. L’argent des multinationales de l’humanitaire va dans la poche des dirigeants, car ceux sont eux qui possèdent les avions permettant le transport de nourriture, ou qui ont des accords avec ceux qui les possèdent. »

Une allégation démentie sur le site DailyNation par le porte-parole du président Salva Kiir, Ateny Wek Ateny, affirmant que l’intérêt est national : « Le permis de travail est une routine, tout pays a le droit d’imposer des permis de travail à des étrangers, si vous ne pouvez pas payer 10 000 dollars, alors vous embaucherez un travailleur local au lieu d’un étranger », a-t-il déclaré à Juba le 8 mars. concluant que « le gouvernement du Soudan du Sud était endormi, mais s’est réveillé maintenant ».

Aide alimentaire d’urgence

Ce n’est pas la première fois que Juba tente de faire barrage aux travailleurs étrangers. Fin 2014 déjà, un arrêté ministériel ordonnait que tout étranger soit remplacé par un travailleur local dans les entreprises privées et toutes les organisations non gouvernementales. Une mesure qui n’a jamais été suivie d’effet.

Mais cette nouvelle menace qui pèse sur les travailleurs intervient alors que le pays vit depuis trois ans une guerre civile qui a contribué à l’effondrement de sa production agricole et à une crise de famine sans précédent. Le Soudan du Sud est l’un des quatre pays – avec la Somalie, le Nigeria et le Yémen – confronté à la « pire crise humanitaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale », comme l’a déclaré, vendredi 10 mars, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, Stephen O’Brien.

Selon la classification de la sécurité alimentaire IPC, trois données doivent être réunies pour déclarer un état de famine : au moins 20 % des ménages sont confrontés à des pénuries alimentaires extrêmes, le taux de malnutrition aiguë touche plus 30 % de la population et le taux de mortalité est supérieur à deux décès pour 10 000 personnes par jour. Selon une déclaration conjointe de trois grandes agences de l’ONU, 100 000 personnes sont en situation de famine au Soudan du Sud, et un million d’autres en sont proches. Actuellement, 42 % de la population – 4,9 millions de Sud-Soudanais – ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.

La situation dramatique du pays met une « pression extraordinaire », selon Elizabeth Deng, sur le gouvernement sud-soudanais. Les ONG déjà installées dans le pays doutent donc que cette décision puisse être appliquée. Et Rebeckah Piotrowki de conclure : « L’augmentation des permis de travail n’est pas notre plus grand défi. C’est l’accès de nos aides aux populations qui pose plus question. »