Fin novembre 2016, les forces de l’ordre ougandaises ont attaqué le palais du roi du Rwenzururu, soupçonné d’avoir des visées séparatistes, à Kasese, dans l’ouest de l’Ouganda. Une intervention meurtrière qui a fait l’objet d’un rapport d’enquête de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié mercredi 15 mars. Un document accablant pour les forces de l’ordre, aussitôt dénoncé par le gouvernement.

Après avoir enquêté dans la région et interrogé 95 témoins et personnes clés, l’ONG conclut à une version des faits très différente de celle des autorités. Alors que le décompte officiel fait état de 87 morts, assaillants compris, les 26 et 27 novembre 2016 dans toute la région, l’ONG en comptabilise au moins 155 durant la même période, dont au moins 15 enfants. Par ailleurs, 180 personnes sont toujours détenues, dont le roi lui-même, inculpé notamment de « meurtre » et « terrorisme ». Aucun membre des forces de l’ordre n’est poursuivi.

Réponse disproportionnée

La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre. Au cours d’une conférence de presse organisée mercredi, Felix Kaweesi et Richard Karemire, les porte-parole respectifs de la police et des forces armées ougandaises (UPDF), ont notamment dénoncé le silence de l’ONG sur les multiples attaques contre les forces de l’ordre recensées depuis deux ans, qui ont fait de nombreuses victimes, et « ont presque plongé la région dans l’anarchie ». Selon Felix Kaweesi, « les tirs effectués par les forces de sécurité étaient parfaitement légaux parce qu’il était nécessaire de répondre au danger qui leur était opposé ». Et comme ces tirs étaient légaux, ajoute-t-il, il n’était pas nécessaire de poursuivre les forces de sécurité.

Pour Maria Burnett, la directrice associée pour l’Afrique de HRW, et coordinatrice du rapport, celui-ci souligne surtout la réponse disproportionnée des forces ougandaises au vu de la menace représentée par les gardes royaux. Le document évoque en effet des « volontaires [dont] beaucoup portent souvent des outils agricoles, comme des machettes, mais [qui] ne constitueraient pas une force ou un groupe armé au regard du droit international humanitaire ». Une argumentation fortement contestée par le brigadier Karemire, qui rappelle que des armes ont été trouvées dans l’enceinte du palais, et que les machettes sont qualifiées d’armes létales par le Code pénal.

Mais les proches des victimes contestent surtout le fait que toutes les personnes présentes dans l’enceinte lors de l’assaut étaient des « combattants armés », comme l’avait affirmé le brigadier Elwelu, chargé des opérations à l’époque, et promu depuis major général, commandant des forces terrestres.

Human Rights Watch précise qu’aucun corps d’enfant n’a été transporté à la morgue de Kasese. Néanmoins, « certains observateurs entrés dans le palais dans les jours suivant l’attaque ont noté la présence d’affaires pour enfants. (…) L’organisation a été en mesure d’identifier 15 enfants de 14 familles portés disparus, et tous ont été vus pour la dernière fois dans le complexe du palais ». Interrogé à plusieurs reprises sur ce sujet, le brigadier Karemire a nié l’existence de preuves concernant la présence d’enfants lors de l’attaque.

« Combattants armés »

Maria Burnett doute enfin des affirmations des autorités, concernant la présence de nombreux Congolais « en armes » dans l’enceinte : « Nous n’avons pas trouvé de preuve de combattants congolais. (…) Mais, comme vous le savez, beaucoup de gens à Kasese ont des racines familiales du côté du Congo et il serait donc impossible de dire qu’aucune personne de nationalité congolaise n’était à l’intérieur ce jour-là. »

« D’après nos recherches actuelles, nous estimons que nous n’avons pas assez d’informations pour conclure si des crimes contre l’humanité ont été commis à Kasese », estime cependant Maria Burnett. Mais « l’assaut du palais a tué plus de personnes dans le pays que n’importe quel autre événement depuis la fin de la guerre contre la LRA [l’Armée de résistance du Seigneur] il y a plus de dix ans ».

Peu après l’attaque du palais, des parlementaires de l’opposition ont envoyé une pétition à la Cour pénale internationale (CPI), afin qu’elle se saisisse du dossier. « Notre rapport sera également transmis à la CPI, affirme Maria Burnett, mais seule une enquête avec une expertise internationale pourrait permettre une évaluation plus poussée des crimes qui ont pu être commis. »