Jean-Louis Debré au 26e Journée du livre politique à l’Assemblée nationale, le 4 mars. | Assemblée Nationale

Certains éditeurs avaient eu la bonne idée de prévenir leurs auteurs : vous ne dédicacerez probablement pas de livres à la Journée du livre politique, qui organise conférences et tables rondes en tout genre. Être averti n’évite pas la déception. Jean-Louis Debré, qui a devant lui beaucoup plus de crayons qu’il ne dédicacera d’ouvrages – trois –, peste à l’idée que les auteurs n’aient pu avoir de piles devant eux sur les tables pour tenter le chaland. Mais il n’y a pas plus de chaland à tenter. La journée se tenant à l’Assemblée, il faut, depuis le plan Vigipirate premium, s’y inscrire au moins une semaine à l’avance. Ne le font que les politiques, auteurs, journalistes et éditeurs invités. En somme des gens qui n’ont pas l’habitude d’acheter leurs livres.

Et quand bien même le grand public serait entré, pourquoi mettre la main sur des publications politiques quand l’actualité les contredit aussi vite ? De grands acteurs d’« House of Sarthe » sont présents dans les salons de l’hôtel de Lassay : Claude Angeli, du Canard enchaîné, par qui le « Penelopegate » est arrivé, mais aussi Gilles Boyer, l’ex-directeur de campagne de Juppé, qui prend ses affaires et vient s’installer à côté de François Baroin, plan C des Républicains. Voilà Un chemin français à côté de Rase campagne et son bandeau « Gilles, on a un problème, Juppé est trop haut trop tôt ». Des visiteurs sortent leurs téléphones. Plus besoin de faire de dédicaces depuis que les photos de smartphone permettent d’attester de la présence des gens auxquels on a eu accès.

« Lorsque j’ai vu que vous aviez invité un juppéiste dans une table ronde consacrée à l’émotion, je me suis dit qu’il y avait du progrès. » Gilles Boyer, l’ex-directeur de campagne de Juppé

« Je n’ai pas encore lu votre dernier livre mais je lis vos Tweet », avoue un lecteur à Gilles Boyer qui, plus tôt, déplorait en conférence que les réseaux sociaux torpillent toute nuance et réclament des réponses binaires à chaque sujet complexe. Le fidèle lieutenant de Juppé, démissionnaire du poste de trésorier de la campagne de Fillon, fait partie de ceux qui ont dédicacé plus de trois ouvrages ce samedi, et c’est d’autant plus méritoire que le sien sera périmé le temps de finir cette phrase.

Gilles Finchelstein (trois sélections au Prix du livre politique, trois échecs), directeur général de la Fondation Jean-Jaurès et ex-plume de DSK, lui explique qu’il était tellement tenu en haleine par son récit de la primaire de droite qu’il s’est demandé comment le livre allait finir. C’était lors du débat consacré à l’émotion en politique. « Lorsque j’ai vu que vous aviez invité un juppéiste dans une table ronde consacrée à l’émotion, je me suis dit qu’il y avait du progrès », se réjouit aussi Gilles Boyer.

Le Prix du livre politique financé par Ladreit de Lacharrière

« Devine qui finance la dotation du Prix du livre politique… », écrit-il dans un SMS. Le mécène s’appelle Marc Ladreit de Lacharrière, élevé grand-croix de la Légion d’honneur par François Fillon, qui salaria deux ans Penelope à la Revue des deux mondes et fut entendu par la police. Avec chacun de ses prix – du livre politique, du livre économique, de l’audace créatrice –, le milliardaire monte des jurys de journalistes qu’il invite à déjeuner. L’an dernier, le Prix du livre politique était allé à son ami Alain Minc pour un ouvrage dont personne ne se souvient du titre cette année. Ce samedi, le parrain du prix n’est pas là pour le délivrer à Brice Teinturier, d’Ipsos.

Dans les couloirs, on annonce la reprise de la campagne de Juppé pour mardi. Personne ne prédit que Baroin sera derrière Fillon au Trocadéro. C’est parfois la Journée du livre de la voyance. « Que pensez-vous de la situation actuelle ? », demande un journaliste à Jean-Louis Debré en lui plantant le micro sous le nez. « La situation actuelle… Il fait beau », dit-il, masquant le micro de sa main, les yeux rivés sur la pluie qui inonde le jardin de l’hôtel de Lassay. Il s’en va voir Jean-Pierre Chevènement, lui prend les mains longuement. Hubert Védrine et son chapeau sont là aussi. Passent Michèle Cotta, Arlette Chabot. C’était une autre époque, le bon temps où on connaissait ses ennemis politiques.

Des adversaires fréquentables

Dans ce salon, les adversaires sont fréquentables. La droite s’arrête à Pierre Lellouche et Jean-Christophe Fromantin ; la gauche à Bernard Thibault, qui lit un livre à défaut d’en signer. Pas de trace des auteurs des meilleures ventes des dernières années, Philippe de Villiers (260 000 exemplaires écoulés pour Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, plus de 150 000 pour Les cloches sonneront-elles encore demain ?, en tête des ventes des livres politiques), Éric Zemmour (un demi-million de Suicide français) ou même Patrick Buisson alors que, dans Valeurs Actuelles, Villiers parle de leur « circonscription lectorale » et met le changement de stratégie de Marine Le Pen sur le fait qu’elle « a lu nos livres ».

Mais les sondages sont pris plus au sérieux que les ventes. Quand le Faire de Fillon s’était vendu à 125 000 exemplaires, selon son éditrice, une consœur reconnaît avoir cru à une erreur, imaginant que les Rotary l’avaient commandé en masse par réflexe. Au moins, à la Journée du livre politique, peut-on se persuader que les livres politiques se vendent peu parce que les lecteurs n’ont pas pu s’inscrire.

Enfin si, il y a quand même un auteur à succès aujourd’hui… mais qui n’a rien à voir avec le livre politique. Jul, scénariste du dernier Lucky Luke, La Terre promise. Lui a prévu un présentoir pour y poser sa BD. Il y avait conditionné sa venue. Et il dédicace non-stop. « Tous ceux qui culpabilisent de ne pas être chez eux un samedi m’en font signer pour leurs enfants… »