« A vomir », « insupportable », « dérive nationaliste » et « électoraliste »… La « clause Molière », censée lutter contre la directive européenne des travailleurs détachés en imposant le français sur les chantiers dont la région est maître d’œuvre, suscite une polémique croissante. Des représentants politiques, syndicaux et patronaux s’insurgent contre les quelques régions – de droite (Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes) – et les départements qui l’ont mise en place pour lutter contre le présumé « dumping social » que représentent les contrats de travailleur détaché.

  • Une mesure scandaleuse pour les syndicats

« C’est insupportable, ça me met hors de moi, ce sont des relents de préférence nationale », a déclaré, jeudi 16 mars, Le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger.

« On veut faire croire qu’on veut lutter contre le dumping social et on tape sur les salariés avec des fondements dont on voit bien qu’ils sont xénophobes. (…) On peut rediscuter de la directive travailleurs détachés en Europe. Mais surtout pas ce type de mesure. C’est franchement à vomir. »

Son homologue de la Confédération générale du travail (CGT), Philippe Martinez, avait dénoncé, mardi au micro de France Inter, une « marche vers la préférence nationale » dans les pas du Front national.

« C’est absolument scandaleux. C’est une clause purement électoraliste dans le cadre d’une campagne présidentielle. (…) On stigmatise les étrangers parce qu’ils ne parleraient pas assez bien français. »

Mercredi, c’est le numéro un de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, qui a fustigé une « clause politicienne », guidée par « de l’opportunisme politique ».

  • Attention au « communautarisme », pour le patronat

Du côté patronal, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), Pierre Gattaz, a estimé, mardi, lors de sa conférence de presse mensuelle, qu’il était préférable de parler français sur les chantiers pour des raisons de « sécurité », d’« ordre » et de « communication ». Mais il a également lancé une mise en garde contre des dérives « communautaires ou nationalistes ».

« Il faut faire attention qu’on ne se recroqueville pas encore une fois sur nous-mêmes. (…) Vous commencez comme ça, et puis après vous commencez à faire du favoritisme, et puis ensuite vous fermez les frontières françaises, et puis vous finissez par sortir de l’euro. »
  • Le gouvernement examine la légalité de la clause

Le ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, a saisi sa direction des affaires juridiques pour examiner la légalité de cette clause, jugée « raciste, discriminatoire et inapplicable » par son entourage.

Le premier ministre, Bernard Cazeneuve, a pour sa part qualifié la mesure de « clause Tartuffe » et accusé ses promoteurs du parti Les Républicains (LR) d’essayer d’en « tirer profit [un] électoral ». Dans un discours au Conseil économique, social et environnemental (CESE), il a estimé, mercredi, que cette mesure serait condamnée par « n’importe quel tribunal », car elle fait « obstacle à la concurrence d’entreprises étrangères faisant appel à des travailleurs détachés ».

  • Des élus de gauche et de droite acerbes

Jean-Luc Mélenchon, qui est opposé au statut du travailleur détaché, a dénoncé mercredi « l’hypocrisie » de la clause Molière. « Les problèmes qui se posent sur les chantiers, c’est d’abord ceux du respect du code du travail », a-t-il insisté.

Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’est, lui aussi, déclaré, mercredi, contre la clause Molière, bien que sa position ne soit pas majoritaire dans son parti. Il juge notamment la mesure impossible à appliquer dans les Pyrénées-Orientales, en Alsace ou dans les Flandres, où se parlent aussi le catalan ou l’alsacien, ou le flamand.

« D’autant plus que d’autres pays pourraient demander la réciprocité. Que diraient les Lorrains qui travaillent au Luxembourg si ce pays leur demandait de parler luxembourgeois. »

En Ile-de-France, le Modem estime que cette mesure vise aussi « nombre de travailleurs étrangers issus de l’immigration légale, dont les réfugiés, pour lesquels le travail est un vecteur d’intégration et d’apprentissage de la langue française ».

Les partis de gauche du conseil régional d’Ile-de-France ont saisi, mercredi, le préfet de région, Michel Delpuech, après l’adoption par la majorité régionale (LR-Modem-UDI) menée par Valérie Pécresse et le Front national de la clause Molière. Ils estiment la clause « illégale ».

  • Wauquiez se défend

Face aux critiques, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a adressé, lundi, un courrier à Bernard Cazeneuve. « Je l’assume [la mise en place de la clause] et je ne lâcherai pas », écrit-il.

Il a par ailleurs déclaré, mardi, que « sur les marchés publics, nous voulons donner la préférence à nos entreprises et, pour cela, utiliser toutes les subtilités du code des marchés publics qui permet beaucoup plus de souplesse que ce qu’on en dit ».

  • « Esprit de trahison », selon Dupont-Aignan

Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France et candidat à l’élection présidentielle, a dénoncé jeudi « l’esprit de trahison » des syndicats français, du Medef à la CGT, et défendu « le bon sens qui veut qu’un ouvrier parle français sur un chantier ».

La France, troisième pays d’origine des travailleurs détachés

La France, troisième pays d’origine des travailleurs détachés au sein de l’Union européenne, avec 190 000 personnes concernées (elle est le deuxième pays d’accueil après l’Allemagne, avec 340 000 personnes), serait dans l’embarras si ses travailleurs détachés en Pologne ou en Roumanie devaient parler la langue du pays où ils travaillent.

Sept pays de l’Union européenne, dont la France, veulent une réforme de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, sujet de division au sein des Vingt-Huit entre défenseurs de la libre circulation et détracteurs d’un présumé « dumping social », des abus ayant été constatés dans les contrôles.