Le jeu de tir d’Ubisoft est réjouissant mais se perd un peu. | Ubisoft

C’est l’un des plus vieux fantasmes de l’adepte de jeu vidéo : être lâché dans un monde crédible, sans limite ni contrainte. Une simulation de « vraie vie », où tout serait possible, mais débarrassée de la peur du game over définitif.

Ce fantasme a pris la forme, ces dernières années, du monde ouvert : un terrain de jeu de plusieurs centaines de kilomètres carrés, véritable petit pays virtuel dans lequel le joueur peut papillonner librement de mission en mission. C’est quasiment un passage obligé pour les développeurs de jeux vidéo, et en tout cas pour Ubisoft qui en a fait, dès le premier Assassin’s Creed justement, son credo.

Ghost Recon Wildlands, sorti le 7 mars sur PC, PlayStation 4 et Xbox One et développé par Ubisoft Paris, en est le dernier exemple. Une version techno thriller d’une Bolivie dirigée par les narcotrafiquants, où seuls quelques flics – à peine plus recommandables – tentent de faire régner un semblant d’ordre avec des méthodes de cow-boys.

On le sait, cette représentation caricaturale a chiffonné le gouvernement bolivien, qui a même convoqué l’ambassadeur français pour en discuter. Etait-ce bien nécessaire ? La vérité, c’est que la Bolivie, comme l’Italie de la Renaissance d’Assassin’s Creed II, comme l’Himalaya de Far Cry 4, n’est ici qu’un terrain de jeu, une carte postale en deux dimensions, photographie superbe mais sans réelle profondeur, ni volonté d’en dire quoi que ce soit.

Ubisoft ne rate d’ailleurs jamais une occasion de rappeler, comme pour s’excuser, qu’il ne fait que « des œuvres de fiction », sans lien avec la réalité, tout en mettant paradoxalement en avant les historiens qui travaillent sur Assassin’s Creed, les développeurs qui partent en immersion pour Ghost Recon. On sent bien que le studio marche sur des œufs, mais en attendant, on pourra saluer sa volonté de continuer à s’inspirer ouvertement du monde réel plutôt que, par peur d’en parler mal, renoncer à en parler tout court. C’est dit, passons à autre chose.

GHOST RECON WILDLANDS - GAMEPLAY TRAILER E3 2016
Durée : 09:20

Des missions réjouissantes…

La Bolivie passée à la moulinette Ubisoft est divisée en une vingtaine de régions. A la tête d’une petite unité des forces spéciales – les fameux Ghost Recon –, le joueur va tenter d’en libérer un certain nombre, jusqu’à remonter au sommet de l’organigramme de la Santa Blanca, le cartel au pouvoir.

Il est possible de passer d’une région à l’autre à tout moment, mais le plan est invariable : voler des documents sensibles ou mener des interrogatoires musclés pour repérer les missions avant d’aller faire sauter un truc, neutraliser un sbire ou résister à un assaut. Une fois mis le bazar dans les affaires du baron régional, une ultime mission, généralement plus scénarisée, plus difficile, permet d’aller le mettre hors d’état de nuire. Un modus operandi qu’on reproduira jusqu’à éveiller l’attention des plus gros poissons, puis, finalement, du boss de la Santa Blanca, le musculeux El Sueño.

Une construction narrative très lâche, et assumée : le jeu ne s’encombre pas de scènes cinématiques, ou alors elles sont facultatives. On peut le regretter, le voir comme un aveu d’échec, mais en vérité, c’est une approche plutôt reposante après tant de jeux Ubisoft aux enjeux narratifs à peu près incompréhensibles. Une invitation à se concentrer, dans une certaine mesure, sur ce qui fait le cœur du jeu : ses missions.

Tout ne se passe évidemment pas toujours comme prévu. | Ubisoft

Dans Ghost Recon Wildlands, les armes à feu sont nombreuses, variées, létales, mais, n’ont pas vocation à être utilisées trop souvent. Il est possible de progresser fleur au fusil ou en canardant à tout va, mais c’est rarement la meilleure méthode.

Le joueur investi préférera planifier, repérer, envoyer un drone, attendre la nuit peut-être, et passer à l’acte en restant, idéalement, invisibles, en se servant de son environnement et en improvisant le moins possible. Le jeu est tellement beau que ramper dans l’herbe, observer une ville à la jumelle ou s’infiltrer dans un campement sans éveiller les soupçons est déjà un plaisir.

Tout cela est extrêmement excitant, à la fois accessible et gratifiant, malgré l’intelligence très limitée des adversaires et le manque d’initiative des trois compagnons. Si ceux-ci savent tout de même rester discrets et se montrer efficaces quand il s’agit d’obéir aux ordres (c’est le principal), on pourra toutefois préférer jouer en multijoueur, ou en tout cas avec des amis. Le jeu est d’ailleurs pensé pour cela. Solo et multi se confondent, le joueur passe de l’un à l’autre en une touche.

… dans un monde sans intérêt

Des missions tellement plaisantes qu’elles soulèvent une question : pourquoi s’être encombré de tout le reste ? Le soin du détail apporté au son, aux effets météo, au réalisme et à la variété de la végétation est à tomber ; oui, mais pour quoi faire ?

Malheureusement, la seule réponse à cette question semble être : « parce que c’est 2017. » Que tout, surtout quand on s’appelle Ubisoft, se doit d’être en monde ouvert. Même si ça n’a aucun sens. Même si cela impose des trajets de dix minutes entre chaque mission, à peine plus excitants qu’un (bel) écran de chargement, ou qu’un trajet en RER A pour aller au boulot. Pire, ce monde gigantesque et imprévisible, avec ses ennemis qui vont et viennent au petit bonheur la chance, est la négation même de l’ode à la préparation qu’est Ghost Recon Wildlands.

Un monde ouvert aura au moins eu un mérite, celui de faire la démonstration de l’impasse ludique que ce parti pris à la mode représente parfois.

En bref

C’est plutôt pour vous si :

  • Vous aimez planifier et repérer avant de passer à l’action
  • Vous aimez jouer avec des amis
  • Vous avez toujours rêvé de vous payer un voyage en Bolivie

Ce n’est pas pour vous si :

  • Vous préférez agir que conduire
  • Vous préférez tirer que penser
  • Vous êtes malade en hélico

On a aimé :

  • Les phases d’infiltration, gratifiante
  • La réalisation, magnifique
  • Le fait qu’Ubisoft renonce enfin à raconter des histoires conspirationnistes incompréhensibles

On n’a pas aimé :

  • Un monde ouvert inutile qui plombe sévèrement le rythme
  • Le pilotage des véhicules, et notamment des hélicoptères
  • L’intelligence artificielle des ennemis limitée

La note de Pixels :

1 trip/1 descente.