Fusillade au lycée Tocqueville de Grasse | ARNOLD JEROCKI/DIVERGENCE POUR "LE MONDE"

L’espace de quelques minutes, l’hypothèse d’un nouvel attentat a fait irruption dans tous les esprits. Peu avant 13 heures, jeudi 16 mars, un lycéen s’est introduit dans son établissement, le lycée Tocqueville de Grasse (Alpes-Maritimes), armé d’un fusil à pompe, d’armes de poing et d’une grenade d’exercice. Trois élèves et le proviseur ont été légèrement blessés par des tirs de plombs. Six autres personnes, blessées ou choquées par la bousculade, ont été évacuées.

La fusillade a aussitôt déclenché la mention « Alerte attentat » sur l’application pour smartphones SAIP (système d’alerte et d’information des populations), créée au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Tous les établissements scolaires de Grasse ont été confinés pendant quelques heures, ainsi que certains lieux sensibles comme le tribunal.

« Mauvaises relations »

Le suspect, Killian B., un lycéen de 16 ans, a été interpellé rapidement. Les premières informations sur sa personnalité ont vite éteint l’hypothèse d’un attentat djihadiste. Fasciné par la violence et les films gores, visiblement en mauvais termes avec des camarades de classe, le jeune homme a été placé en garde à vue pour « tentatives d’assassinats ». L’enquête devra établir qui étaient ses cibles, l’origine des armes et d’éventuelles complicités.

En fin de journée, la procureure de Grasse, Fabienne Atzori, a livré quelques détails sur le déroulement des faits. « Aucun lien ne peut être envisagé avec une entreprise terroriste », a d’emblée précisé la magistrate : « Les motivations de l’élève paraissent liées aux mauvaises relations qu’il entretenait avec certains élèves. Il semblait présenter des difficultés à s’intégrer. »

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Selon le récit de premiers témoins, l’élève serait d’abord entré dans une classe, mais n’aurait pas trouvé le ou les élèves qu’il semblait chercher. S’étant aperçus qu’il était armé, ses camarades ont prévenu le proviseur. C’est en s’interposant entre le tireur et un élève sur lequel il venait d’ouvrir le feu que le chef d’établissement a été atteint par un tir à l’épaule. Le tireur lui aurait lancé : « C’est pas à vous que j’en veux. » L’élève, touché au ventre, devait être entendu par les enquêteurs jeudi soir.

Killian B. a été interpellé sans opposer de résistance. « Il semble qu’il aurait déposé ses armes par terre avec docilité et résignation », a dit la procureure. Dans son sac à dos, les enquêteurs ont découvert de la poudre noire, présentée comme un possible « explosif artisanal, en cours d’expertise ». Au total, dix personnes ont été blessées « mais aucune n’est en urgence absolue », a-t-elle ajouté.

Aux abords du lycée de Grasse après la fusillade

Fasciné par Columbine

A en croire ses activités sur Internet, Killian B. est fasciné par la tuerie de Columbine (Colorado, Etats-Unis). Le 20 avril 1999, deux lycéens y tuèrent douze étudiants et un professeur de cet établissement avant de se suicider. Cette tuerie de masse regroupe une communauté de fans, les « Columbiners ». Elle a inspiré de nombreuses œuvres, dont le documentaire Bowling for Columbine, de Michael Moore, ou le film Elephant, de Gus Van Sant.

Killian B. affichait son obsession pour ce massacre sur les réseaux sociaux. Le bandeau de sa page YouTube est une image issue de caméras de vidéosurveillance du lycée américain, et son unique liste publiée sur YouTube rassemble deux films consacrés à la fusillade. La photographie illustrant son compte Twitter est issue des archives de la police de Columbine, et montre les cadavres des deux auteurs de l’attaque.

Amateur de groupes de metal et de l’univers visuel sataniste, le jeune homme semble également fasciné par une imagerie violente proche de l’extrême droite. Il utilisait notamment comme image de profil un visuel issu du jeu Hatred, qui revendiquait le titre de jeu le plus violent au monde : on y incarne un tueur dont l’unique but est de massacrer des civils au hasard dans la rue. Misanthrope, cynique et ultraviolent, le jeu a été édité par le studio polonais Destructive Creations, suspecté de sympathie envers un groupe néonazi.

Sur les réseaux sociaux, Killian B. avait réagi aux attentats ayant frappé la France ces derniers mois. En réponse à un internaute lui demandant la suppression d’une vidéo de l’attentat de Nice sur Twitter, il défendait son maintien : « C’est bien aussi de voir comme quoi on est des merdes qui peuvent mourir pour un rien. » Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, il avait publié sur Facebook la photo d’un agent du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), recouverte en transparence du drapeau tricolore.

Moqueries et « amalgames »

Le père du jeune homme, conseiller municipal de Grasse et membre du Rassemblement pour la France (RPF), un parti souverainiste, est un soutien de la candidature de François Fillon. Les réseaux sociaux étant propices aux moqueries de mauvais goût, son profil Facebook a été inondé de messages goguenards, certains ne manquant de lui rappeler la promesse de son candidat d’abaisser la majorité pénale à 16 ans.

Le 8 mars, le conseiller municipal avait tweeté un article du Figaro, dont le titre se révèle a posteriori d’une cruelle ironie : « On atteint désormais un point de violence extrême dans les lycées. » Le 19 juillet 2016, il avait réagi sur Twitter à un fait divers mettant en cause un musulman en ces termes : « Poignardée pour tenues trop légères, mais “pas d’amalgame”. Un comportement qui n’a que trop duré. »

La fusillade de Grasse n’a d’ailleurs pas manqué de raviver les fantasmes de certains sites Internet cultivant volontiers l’amalgame. Dreuze. info, qui se présente comme pro-israélien et néoconservateur, et dont le slogan est « Votre bouffée d’air du matin pour mieux supporter les mensonges des médias », a ainsi tweeté, sans aucune vérification : « Le jeune musulman arrêté est un lycéen de Tocqueville ». Avant de reconnaître son erreur, quelques heures plus tard.