Bernard Cazeneuve et  Tareq Obrou, imam de la mosquée de Bordeaux, en 2015. | REGIS DUVIGNAU / REUTERS

Comment mieux former les imams de France ? Un rapport, rendu public jeudi 16 mars, fait des propositions pour les préparer à faire face aux discours radicaux. Cette mission, lancée dans le cadre des chantiers sur l’islam ouverts fin août 2016 après la série d’attentats jihadistes ayant frappé la France, a été conduite par l’historienne Catherine Mayeur-Jaouen, la juriste Mathilde Philip-Gay et l’islamologue Rachid Benzine.

Les attentes sont fortes chez les acteurs de l’islam (entre 4 millions et 5 millions de croyants) : si la France aux 2 500 mosquées bénéficie de 1 800 imams en exercice, leur situation est souvent peu enviable : statut indéfini, travail mal rétribué, voire bénévole, niveau de formation très variable… Il y a bien, parmi eux, trois cents imams permanents « détachés » par des pays (Turquie, Algérie et Maroc), mais ceux-ci ne sont pas toujours francophones, et leur simple présence accrédite l’image d’un « islam des consulats » que l’Etat cherche à corriger.

L’école française d’islamologie sinistrée

Des formations privées en théologie ou en droit musulman existent, comme l’institut Al-Ghazali (grande mosquée de Paris) ou l’Institut européen des sciences humaines de Paris (IESH, dépendant de l’Union des organisations islamiques de France-UOIF, issue des Frères musulmans), mais les sciences humaines y sont peu développées. Quant à l’école française d’islamologie, « longtemps brillante », elle est aujourd’hui « sinistrée » à l’université, déplore Rachid Benzine.

D’où l’idée des rapporteurs de renforcer cette double offre en créant des « partenariats » entre universités et instituts de formation d’imams. Outre de « nouvelles formations diplômantes sur les mondes musulmans » à la fac (histoire et anthropologie des textes religieux, langue arabe, etc.), ce Meccano comporterait un allongement des formations civiles et civiques (fait religieux, laïcité) proposées dans quatorze sites, sous forme de « DU + » (diplômes universitaires renforcés).

La mission souhaite aussi la mise en œuvre d’un « campus numérique » pour rassembler toutes les ressources disponibles. A quelques semaines de la présidentielle, la place Beauvau a indiqué son souhait « d’aller vite dans la mise en œuvre du rapport » et de « permettre la création d’une première génération de partenariats dès la rentrée 2017 ».

« La théologie, comment on l’enseigne et avec qui »

La délicate question de la formation des imams dans une République laïque a déjà fait l’objet de nombreux travaux, dont ceux de l’historien Etienne Trocmé, dès 1996, et du spécialiste du droit des religions Francis Messner, en 2013. « On tourne un peu en rond. L’état des lieux, on le connaît. S’appuyer sur les DU, la dimension laïcité, ce n’est plus le cœur du sujet. Le cœur du sujet c’est la théologie, comment on l’enseigne et avec qui. Il faudrait pouvoir s’appuyer sur des instituts universitaires à l’étranger ou des français », confie Didier Leschi, auteur de Misère(s) de l’islam de France (Les éditions du Cerf).

Par ailleurs, si l’Etat prévoyait de venir « en soutien sur les matières non confessantes », ce serait aux responsables cultuels de se saisir des recommandations du rapport dans ses aspects religieux. « Cela pourrait notamment être un axe d’intervention de la future association nationale de financement du culte », glisse-t-on place Beauvau. Problème, celle-ci peine à voir le jour, sur fond de querelles entre grandes fédérations musulmanes.