Des migrants sur l’île de Lesbos, en Grèce, le 16 mars. | HANDOUT / AFP

L’accord, qualifié à l’époque d’« historique », devait répondre à l’une des plus importantes crises migratoires. Le 18 mars 2016, la Turquie signait un pacte migratoire avec les vingt-huit pays de l’Union européenne pour faire cesser l’arrivée quotidienne de milliers de migrants par bateau sur des îles grecques de la mer Egée. Cet accord controversé, signé après des mois d’atermoiements, prévoit le renvoi systématique de tous les migrants vers la Turquie, y compris les demandeurs d’asile, en contrepartie d’un soutien financier de la part de l’UE.

Un an après la signature, les arrivées de migrants ont drastiquement baissé en Grèce. Face à cet apparent bilan positif, des organisations non gouvernementales (ONG) accusent l’Europe de s’accommoder de cette situation « en lançant aux migrants le message de ne pas venir », sans s’acquitter « de sa responsabilité de protéger les gens ». Pis, la crise diplomatique entre la Turquie et plusieurs capitales européennes laisse planer le risque d’une remise en question de cet accord.

  • Dans quel contexte s’inscrit cet accord ?

Cet accord s’inscrit dans un contexte de « crise migratoire inédite », insiste Jean Marcou, chercheur spécialiste de la Turquie et enseignant à l’Institut de sciences politiques de Grenoble.

« L’année 2013 marque un tournant : près de deux millions de migrants arrivent en Turquie et les premiers bateaux commencent à passer vers la Grèce. La Turquie devient la plaque tournante des migrations », rappelle M. Marcou, qui fait savoir qu’à cette période l’Union européenne s’est rapprochée de la Turquie pour « qu’elle contrôle mieux ses frontières ».

Mais cet accord ne pouvait se faire sans contrepartie : la Turquie a notamment réclamé une série de mesures visant à faciliter les séjours de ses ressortissants sur le sol européen. Il faudra attendre trois ans pour qu’un accord voit finalement le jour entre l’UE et Ankara.

  • Que prévoit cet accord ?

Depuis la mise en application de cet accord, le 20 mars 2016, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce sont refoulés en Turquie. Lorsqu’ils arrivent sur les îles grecques, ils sont immédiatement placés dans des centres, où leur renvoi vers la Turquie leur est notifié.

Une fois dans ces centres, les migrants peuvent faire une demande d’asile en Grèce, mais Athènes s’étant engagé à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr », cette requête est généralement refusée par les juges, particulièrement pour les Syriens, au motif que la Turquie leur offre des conditions de sécurité équivalentes à celles protégeant des réfugiés.

Cette mesure « temporaire et extraordinaire » vise à « casser le modèle économique des migrants » et à « en finir avec la souffrance humaine », selon le texte de l’accord. Par ailleurs, celui-ci prévoit un mécanisme « Syrien contre Syrien » : pour un Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien resté dans les camps de réfugiés en Turquie est envoyé en Europe grâce à un corridor humanitaire. L’échange a été plafonné à soixante-douze mille personnes, la Hongrie et d’autres pays européens se refusant à en accueillir plus.

  • L’engagement de la Turquie

Le pacte migratoire prévoit également que la Turquie « prenne toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière – maritimes ou terrestres – ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’UE, et coopérera avec les Etats voisins ainsi qu’avec l’UE à cet effet ».

  • L’engagement de l’Union européenne

Une aide financière de trois milliards d’euros, un montant renouvelable une fois qu’il sera épuisé, a également été promis à Ankara. 750 millions d’euros ont déjà été versés pour des projets visant à améliorer le quotidien des réfugiés en Turquie et de soutien aux populations qui les accueillent.

Par ailleurs, les pays membres de l’UE ont accepté d’ouvrir de nouveaux chapitres dans leurs négociations d’adhésion avec la Turquie, dont deux sur les politiques économique et monétaire et sur les questions budgétaires l’ont été en décembre 2015. En revanche, la Commission européenne n’a toujours pas donné son accord à la libéralisation des visas pour les séjours courts de citoyens turcs dans l’UE, estimant que les conditions n’étaient pas remplies. La législation antiterroriste turque, jugée liberticide, n’est pas acceptable aux yeux de Bruxelles.

  • Quelles sont les répercussions depuis un an ?

Alors que près de 200 000 migrants avaient gagné les îles grecques entre décembre 2015 et la fin de février 2016, ils n’étaient que 3 500 sur la même période un an plus tard. Parmi eux, près de 1 500 migrants déboutés de leur demande d’asile ont été ramenés en Turquie.

Concernant le mécanisme « Syrien contre Syrien », durant l’année écoulée, neuf pays de l’UE ont accepté d’accueillir 3 565 réfugiés, un chiffre supérieur au nombre de demandeurs d’asile syriens renvoyé en Turquie. A ce titre, la France a accueilli 565 Syriens depuis le 4 avril 2016, l’Allemagne 1 403, et les Pays-Bas 711. La Hongrie, l’Autriche et la Pologne refusent toutefois de participer au programme.

« L’accord a été clairement dissuasif pour les migrants souhaitant se rendre en Europe qui savaient qu’ils risquaient d’être renvoyés en Turquie. Mais les politiques antimigrants des pays des Balkans, comme la Hongrie, ont également eu un effet dissuasif », analyse le chercheur Jean Marcou.

Il semblerait également que cette baisse drastique soit due à l’intensification par Ankara de la lutte contre les passeurs qui opéraient jusqu’alors ouvertement aux départs de ses côtes. Depuis un an, soixante-dix personnes sont mortes ou disparues alors qu’elles traversaient la mer Egée, contre quelque 1 100 morts pendant l’année précédente, selon la Commission européenne.

Selon la Commission européenne, les passages de la frontière terrestre « ont été faibles » depuis six mois : en moyenne huit par jour à la frontière gréco-turque, et cinq par jour à la frontière turco-bulgare.

  • Les suites de ce pacte ?

Au gré des différends avec Bruxelles, sur les visas, la liberté d’expression ou la répression engagée après le coup d’Etat avorté du 15 juillet 2016, et plus récemment les tensions avec les Pays-Bas, les dirigeants turcs ont averti à plusieurs reprises qu’ils feraient capoter l’accord migratoire, mais sans mettre leur menace à exécution. Le pacte migratoire continue en effet d’être mis en œuvre sans problème majeur.

Le ministre des affaires européennes turc, Omer Celik, a toutefois menacé lundi 13 mars de dénoncer un chapitre mineur de cet accord, laissant entendre qu’il pouvait rouvrir aux migrants les « passages terrestres » entre la Turquie et l’UE, à la frontière grecque et bulgare.

« Quand la Turquie menace d’annuler l’accord, il faut regarder que cet accord n’a pas été qu’en faveur de l’Union européenne, la Turquie aussi en a tiré des bénéfices », estime le chercheur. Et de conclure : « Il y a du bluff dans cette menace, l’accord ne risque pas d’être levé. »