Une bijouterie Tiffany, à New York, le 6 février 2017 | SPENCER PLATT / AFP

Barry Rosenstein jure pouvoir sortir Tiffany de sa torpeur. Depuis son entrée au capital de la marque new-yorkaise de joaillerie, début janvier, le fondateur du fonds d’investissement activiste Jana Partners imprime un rythme infernal à son équipe de direction. A ses yeux, la marque, qui a dévoilé vendredi 17 mars un chiffre d’affaires annuel en recul de 3 % en 2016 à 4 milliards de dollars et une érosion de sa rentabilité de 3,9 % à 446 millions de dollars, n’occupe pas le rang qu’elle mérite.

Le 6 février, le milliardaire new-yorkais a obtenu le départ de Frédéric Cumenal. Ce Français, ancien patron des champagnes Moët et Chandon devait relancer la marque mais il n’a tenu que 22 mois. Le président du conseil d’administration assure l’intérim. La directrice artistique Francesca Amfitheatrof, une ancienne de chez Chanel, s’est aussi vue signifier son congé, quatre ans après sa nomination.

« C’était ça ou la prise de contrôle »

Celle qui avait choisi la chanteuse Lady Gaga pour incarner le nouveau style funky de la marque a été remplacée le 1er février par une figure de la maroquinerie, le styliste américain Reed Krakoff. L’homme est connu pour avoir dessiné les sacs à mains Coach, de 1996 à 2013, supervisé ses magasins et contribué à l’envolée des ventes à plus de 4 milliards dollars.

Fin 2016, le directeur financier de Tiffany avait lui aussi pris la porte. Ce « vent frais », aux dires du cabinet Cowen, n’est pas pour déplaire aux analystes financiers de Wall Street. « C’était ça ou une prise de contrôle », juge le suisse Luca Solca, spécialiste boursier du secteur du luxe, persuadé du « très gros potentiel » de la marque née en 1837. Selon lui, l’urgence est « d’ouvrir une nouvelle page » et des perspectives de hausse de l’action côtée à la Bourse de New York depuis 30 ans.

Numéro deux du marché mondial de la joaillerie, derrière le français Cartier, contrôlé par le suisse Richemont, et l’italien Bulgari, détenu par le français LVMH, Tiffany est encore une marque américano-américaine. « Elle tire 47 % de ses revenus de ses points de vente américains », note Ariel Ohana, banquier d’affaires, spécialiste du secteur. Malgré ses tentatives d’internationalisation, la marque fondée à New York par un papetier, Charles L. Tiffany, n’est guère connue à l’étranger, notamment en Asie, terre des nouveaux milliardaires de la planète.

Depuis 1961, et le fameux film où joue Audrey Hepburn, Tiffany n’a pas réussi à se défaire de son image de fournisseur de bagues de fiançailles

Diamants sur canapé Bande annonce (2) VO
Durée : 02:32

Les cinéphiles connaissent la marque pour la scène du film Diamants sur canapé où Audrey Hepburn, devant la vitrine du magasin de la Cinquième Avenue, rêve d’un riche mariage en grignotant un bagel. C’était en 1961. Mais, depuis, à Manhattan comme ailleurs, Tiffany n’est pas parvenue à se défaire de son image de fournisseur de bagues de fiançailles, de solitaires à la Saint-Valentin et de pendentifs pour jeunes filles.

L’objectif est de rendre la marque plus accessible

Or, le marché américain de la joaillerie ne se résume plus à celui des cadeaux payés par des hommes et offerts à leur fille ou leur femme. Selon le diamantaire De Beers, près d’un tiers des 26 milliards de dollars dépensés par la génération des 25-39 ans provient de clientes, de femmes actives qui décident seules de s’acheter une paire de boucles d’oreille ou un brillant. « Celles qui s’offrent un bijou comme elles s’offriraient un sac griffé », explique M. Ohana. Toutes rechigneraient alors à pousser la porte d’un magasin Tiffany à l’image encore « très mariage », selon Delphine Vitry, consultante chez MAD, spécialiste de la distribution.

Les temps pourraient changer. D’autant que le fonds d’investissement Jana Partners s’est allié à un autre grand spécialiste du luxe, Francesco Trapani, ancien patron de Bulgari ; ensemble, ils détiendraient 5,1 % de son capital, d’après la presse américaine. L’entourage de Jana Partners refuse de commenter cette estimation.

M. Trapani, petit-fils du fondateur de la marque Bulgari, est rompu aux méthodes d’internationalisation des marques de luxe. Sous son ère, la firme romaine s’est diversifiée pour ouvrir des palaces à son nom, mais aussi signer des montres et des parfums, produits par essence moins cher qu’un diamant. Bref, il sait rendre une marque plus accessible, écueil sur lequel Tiffany bute depuis des années. M. Trapani est aussi un fin connaisseur des marchés. En 1995, il a réussi l’introduction en Bourse de la firme italienne, avant d’en sceller la cession au groupe LVMH en 2011 pour près de 4 milliards d’euros. Un savoir-faire qui laisse présager d’une nouvelle ère chez Tiffany.