Sur le Campus d’HEC Paris, qui dispense un Executive MBA, mais aussi de nombreuses autres formations très cotées. AFP PHOTO / PIERRE-FRANCK COLOMBIER | PIERRE-FRANCK COLOMBIER / AFP

Voilà une étude du chasseur de têtes haut de gamme Heidrick & Struggles qui a dû entamer le moral des directeurs de MBA. Selon le document « Route to the Top », le taux de dirigeants des 120 premières entreprises françaises titulaires d’un MBA est passé de 37 % en 2011 à 21 % en 2015. Pour Hervé Borensztejn, du département leadership de ce cabinet de conseil, cette chute s’explique par « la propension des sociétés françaises à préférer des diplômés de Polytechnique, des Mines, de Centrale, HEC, de l’Essec, de l’ENA et autres Sciences Po Paris ». Le cas de notre pays est, en effet, particulier. Alors que le MBA est un diplôme de référence en Amérique ou en Asie, il y est concurrencé par une filière de grandes écoles franco-françaises très appréciée des employeurs.

Si bien que lorsqu’on demande à ces derniers d’évaluer le MBA, la réponse s’exprime souvent en creux. Ainsi, le fabricant de voitures PSA (dont le PDG, Carlos Tavares, est diplômé de l’Ecole centrale de Paris) ne dispose pas, selon son service de presse, d’assez de ­ « matière sur le sujet des MBA pour pouvoir répondre ». Les interlocuteurs internes chez Renault (dont le PDG est polytechnicien) sont « débordés et incapables d’honorer les délais ». Total (dont le dirigeant, Patrick Pouyanné, est un « X-Mines ») n’a pas répondu à notre demande. A la SNCF (dont le président du directoire, Guillaume Pepy, est énarque), la spécialiste de la question MBA est également indisponible…

« Les employeurs reprochent aux MBA de développer dans la tête de leurs impétrants un sentiment d’impunité et de toute-puissance, analyse Hervé Borensztejn. Or, les manageurs se doivent d’être humbles. »

Il existe d’autres raisons pour lesquelles l’étoile du MBA pâlit en France – mais aussi, de plus en plus, en Allemagne et même aux Etats-Unis. Il est menacé par les formations internes des entreprises, qui développent leurs propres universités. De plus en plus, le futur dirigeant se doit d’y passer. Ces cursus vont piocher leurs enseignants dans les meilleures écoles et font alterner les périodes de formation avec des séjours à l’étranger. A cela, les grands groupes adjoignent du mentoring et ils organisent des rencontres avec les membres du comité exécutif. Les employeurs proposent donc à leurs cadres de haut niveau un programme qu’ils jugent équivalent à un MBA, sans passer par cette case onéreuse et sans risquer de se faire « voler » leurs hauts potentiels par la concurrence.

La formation en interne privilégiée

« Les entreprises organisent de plus en plus ces parcours pour former leurs meilleurs éléments, confirme Sabine Lochmann, présidente du directoire de BPI Group, l’un des leaders du conseil en management des ressources humaines. Pour les cadres aspirant à devenir des dirigeants, le MBA était perçu comme le Graal. C’est moins le cas aujourd’hui. Via une formation continue en interne, ils acquièrent une expérience projet, une méthode de travail, une expérience internationale. Plus qu’un MBA, ce type de travail par projets avec des résultats tangibles qualifie mieux le dirigeant de demain. Des sociétés comme Danone, Johnson & Johnson ou General Electric proposent à leurs cadres des cours de leur université interne réalisés par des enseignants provenant de Harvard ou de l’Insead. »

D’autres facteurs expliquent que le MBA, en France, n’a pas encore réussi à devenir prépondérant dans le monde de la formation au management. Le contenu de ces formations suscite diverses critiques. Certaines proviennent – elles en sont d’autant plus douloureuses – du monde académique. C’est le cas de la charge du professeur de l’université McGill de Montréal Henry Mintzberg, dans son ouvrage retentissant intitulé Des managers, des vrais ! Pas des MBA, publié en 2004.

La thèse de M. Mintzberg a fini par colorer la pensée des employeurs. « Ces derniers reprochent aux MBA de développer dans la tête de leurs impétrants un sentiment d’impunité et de toute-puissance, analyse Hervé Borensztejn. Or, notre économie a besoin de manageurs à l’opposé de cela. Ils se doivent d’être humbles, de savoir travailler en équipe, d’être préparés à l’incertitude pour faire face aux différents changements actuellement à l’œuvre. »

La concurrence des mastères et des masters

A ces critiques s’ajoute la volonté des établissements français d’« occuper le terrain » en offrant des formations alternatives. Aujourd’hui, un candidat qui souhaite se former au management peut certes s’inscrire dans l’un des multiples MBA proposés en France, mais aussi bien opter pour un mastère spécialisé, comme le MS en management de la technologie et de l’innovation de l’EM Lyon, le MS en business performance management de l’ESCP Europe, ou bien encore passer par un master dans un IAE, au sein des universités.

Même si ces formations n’ont pas exactement la même cible et sont, dans certains cas, plus spécialisées que les MBA, les employeurs font face à un grand nombre de cursus. Certaines de ces formations alternatives aux MBA visent spécifiquement les profils de cadres avancés, comme l’Executive Mastère en management d’une unité stratégique proposé par HEC.

Il existe aussi des instituts, comme l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale) ou le Chede (Cycle des hautes études pour le développement économique), qui proposent des formations pour cadres dirigeants. En France, le MBA est donc loin d’avoir le monopole de la formation avancée au management et à la conduite des affaires.

Un diplôme en perte de valeur?

« Il y a vingt ans, le MBA comptait. Aujourd’hui, mes clients sont circonspects vis-à-vis de ce diplôme », estime Etienne Deroure, président de la Confédération européenne des associations de conseil en recrutement

« Il y a vingt ans, le MBA comptait, estime Etienne Deroure, président de la Confédération européenne des associations de conseil en recrutement et dirigeant de Positis, cabinet de chasseurs de têtes. Aujourd’hui, ce diplôme n’a plus la même valeur. Avec l’actuelle profusion de MBA, mes clients sont circonspects vis-à-vis de ce diplôme. Alors, même si ce cursus constitue la preuve d’un lourd investissement du candidat, ce ne sera un accélérateur de carrière que pour certains. » « Très honnêtement, complète un outplaceur préférant ne pas être cité, si la motivation du candidat est de retrouver un emploi, le MBA n’est pas la bonne solution. D’autant que la sélection à l’entrée pose problème. Lorsqu’on paye 60 000 euros pour suivre ces cours, on est tout de suite formidable. »

Reste que, dans certains cas, le MBA demeure un diplôme prestigieux, en particulier ceux qui figurent dans le top 20 des classements internationaux, comme ceux publiés par le Financial Times ou le think tank Quacquarelli Symonds. « Le MBA est un plus, juge ainsi Arnaud Sourisseau, fondateur du cabinet One Man Support. Cela prouve que le candidat a souhaité acquérir des compétences supplémentaires. Cela rassure nos clients. »

Certains secteurs demeurent par ailleurs friands de MBA. C’est le cas de la banque d’affaires ou des sociétés de conseil. « Nous avons besoin d’avoir parmi nous des collègues pouvant dépasser la seule technique financière, explique Amaury de La Bouillerie, diplômé du MBA de l’IMD et associé chez RSM Paris, un réseau d’audit implanté dans 120 pays. Nous embauchons des MBA ou nous les finançons pour nos salariés prometteurs. Avec des diplômés de MBA, notre analyse est plus pertinente. Ces derniers possèdent une profondeur, un recul sur le monde de l’entreprise. Comme notre métier évolue vers le conseil, le MBA de nos collaborateurs est très important. »

Critiqué, le MBA évolue

« Le MBA a essuyé bien des critiques, ajoute Tamim Elbasha, directeur académique de deux MBA à Audencia. Pourtant, ce cursus permet de développer sensiblement les compétences de nos apprentis manageurs. Mais il doit aussi s’améliorer. A Nantes, nous proposons les cours les plus généralistes possible. L’idée est de donner à nos étudiants de nombreux espaces de réflexion afin qu’ils puissent prendre une distance critique par rapport à notre programme et à une carrière déjà toute tracée. Ils peuvent ainsi réfléchir aux liens existant entre le marketing et la finance ou réfléchir au développement de leur leadership. »

Attaqué, le système MBA se restructure, petit à petit, afin d’aider les participants à donner le meilleur d’eux-mêmes et à affiner leur réflexion. Car le cursus est, de toute façon, un moment où l’on se développe. « Le MBA constitue un excellent tremplin pour quelqu’un en poste, conclut Eric Beaudouin, directeur général du cabinet spécialisé en transition de carrière OasYs. J’ai fait l’Executive MBA de HEC, et cela m’a beaucoup servi. J’y ai puisé de nouveaux réflexes. Cela m’a redonné du souffle, m’a fait rencontrer de nouveaux collègues, développer de nouvelles compétences et cela a aiguisé ma curiosité. Ce cursus m’a aidé, je pense, à atteindre des postes de direction générale. » Ainsi, si la reconnaissance des MBA est encore très variable en France, l’effet que ces formations ont sur les participants est souvent, lui, plébiscité.

Un supplément et un salon du « Monde » pour tout savoir sur les MBA

Retrouvez, dans « Le Monde » daté du jeudi 16 mars, un supplément spécial « Universités et grandes écoles » de 12 pages consacré aux masters of business administration (MBA), progressivement mis en ligne sur notre rubrique Le Monde.fr/mba.

Samedi 18 mars, « Le Monde » organise la 7e édition de son MBA Fair, au Palais Brongniart, Place de la Bourse, à Paris. L’occasion de rencontrer des responsables de 35 cursus de MBA et executive masters, en France et à l’étranger. Plus d’informations et préinscriptions (recommandées) sur Mbafair-lemonde.com.