Jacky Lorenzetti et Thomas Savare, le 18 mars lors de leur annonce du projet de fusion. | THOMAS SAMSON / AFP

« Je renonce ». Dans sa lettre aux supporteurs du Racing 92 publiée dimanche, Jacky Lorenzetti sonne le glas du projet de fusion de son club avec le Stade Français, annoncé lundi 13 mars. Une information confirmée par son homologue parisien, Thomas Savare, dans un communiqué distinct. Au septième jour d’une semaine folle, les deux présidents se sont donc retournés sur leur œuvre, pour en décider la fin.

« Je renonce au rapprochement avec le Stade français Paris, en accord avec Thomas Savare, la fusion n’aura donc pas lieu », écrit M. Lorenzetti.

» J’ai entendu et compris les fortes réticences qu’a soulevé ce beau projet d’union. En tout état de cause, les conditions sociales, politiques, culturelles, humaines, sportives ne sont pas remplies. Peut-être avons-nous eu raison trop tôt, l’avenir nous le dira… Je ne m’attendais pas à une telle résistance, surtout en interne ! »

« L’avenir du Stade Français s’écrira sans nous, et je lui souhaite sincèrement tout ce que l’on peut souhaiter de meilleur à quelqu’un que l’on a appris à connaître de plus près », continue le président du Racing 92, qui annonce qu’il va désormais se concentrer sur le développement du club des Hauts-de-Seine.

Le président du Stade français, Thomas Savare, qui envisageait « ce projet comme un rassemblement où l’implication des principaux acteurs s’annonçait indispensable », a lui aussi détaillé les raisons de cette volte-face, à peu près aussi improbable que le projet initial.

« Une construction de cette dimension n’aurait eu aucun sens dans le combat, en particulier à un moment où le rugby français fait face à de nombreux défis. J’ai entendu l’émotion, la surprise et l’incompréhension des supporters, des joueurs et des membres de notre association. J’ai aussi entendu leur attachement profond à l’indépendance du Stade Français Paris, cet attachement passant devant toutes les autres considérations. Nous avons donc décidé, en accord avec Jacky Lorenzetti, de mettre fin à ce projet de fusion. Les deux équipes se retrouveront en avril à Jean Bouin. Nul doute que ce derby promet d’être à la hauteur de la rivalité historique si chère au public. »

Vendredi, à l’issue d’une réunion initiée par la Ligue nationale de rugby, faisant suite à l’annonce de la grève des joueurs du Stade Français, M. Savare assurait pourtant que « le projet (n’était) pas remis en cause ». Il avait également écarté l’idée de revenir sur ce mariage si une offre de reprise du club parisien lui parvenait : « le sujet aujourd’hui n’est pas de trouver une deuxième canne pour remplacer la canne Savare. Le sujet est de construire un club qui marche sur ses deux jambes et tout seul ».

Bataille de l’image et levée de boucliers

Seuls, MM. Lorenzetti et Savare l’auront été ensemble, d’abord lors de discussions qu’ils auront menées dans le plus grand secret, sans jamais en informer les différentes parties concernées, puis lors de leur annonce, et face à l’hostilité qui a suivi. Ce projet enterré, ils le sont désormais plus encore, et risquent même un certain isolement. L’avenir du Stade Français, comme l’engagement de M. Savare à sa tête, ne manqueront pas de poser question. Selon Canal+, le président se donnerait trois mois pour trouver un repreneur au club, en proie à des difficultés financières.

Concrètement, personne ne pouvait empêcher les deux propriétaires concernés de mener leur mariage, même forcé, à terme. Mais la bataille de l’image a été perdue, et la levée de bouclier qui a secoué les deux clubs, notamment en interne, plus forte qu’ils ne l’imaginaient.

D’abord de la part des supporters et des joueurs du Stade Français, qui ont dénoncé « la mort de 136 ans d’histoire de leur club » et « un rachat » déguisé en fusion. Des joueurs très rémontés, dans la foulée de Pascal Papé. « On parle de l’humain, là ! On ne parle pas d’immobilier [M. Lorenzetti était propriétaire du groupe Foncia] ou de planche à billets [la famille Savare possède Oberthur, spécialisée dans l’impression fiduciaire]. C’est un délire de riches. On ne bafoue pas comme ça cent trente-quatre ans d’histoire », tonnait le deuxième ligne international, mercredi devant la presse. Ceux du Stade Français ont rapidement posé un préavis de grève, une première dans l’histoire du Top 14, obligeant même la LNR à reporter les matchs des deux équipes franciliennes, la moins mauvaise solution pour éviter de fausser le championnat.

Samedi, le troisième ligne Sergio Parisse, capitaine de l’Italie et du Stade français, a débuté le match du Tournoi des six nations samedi contre l’Ecosse avec un brassard rose – la couleur du Stade français – en soutien à ses coéquipiers. Les joueurs de Toulon ont annoncé qu’ils porteraient également le brassard rose dimanche à Grenoble en soutien au club parisien.

Bernard Laporte (à gauche), aux côtés du prince et de la princesse de Galles, le 18 mars lors du match France-Pays de Galles. | CHRISTOPHE SIMON / AFP

Laporte : « Un supporter est attaché à un club. C’est beau »

Quand la Mairie de Paris s’inquiétait de l’avenir du Stade Jean-Bouin, rénové à grands frais et qui risquait en cas de fusion de devenir l’annexe de la future Arena 92, la Fédération française de rugby se déclarait « choquée » et « très étonnée », notamment de « n’avoir jamais été consultée. » Lors d’un entretien au Monde, fin janvier, Bernard Laporte rappelait qu’il comptait bien être un président qui préside. « Qui décide ? Qui est le patron du rugby français ? », s’interrogeait faussement le nouvel édile, qui n’a pas tardé à commenter, dimanche au micro de RMC, l’abandon de la fusion francilienne.

« On voit bien que c’était difficile à mettre en place. Tout n’était pas ficelé. Ce qui me surprend, c’est que ça a été annoncé sans avoir ficelé les choses. Si on regarde Bayonne-Biarritz (qui avaient discuté d’un projet de fusion, avorté lui aussi) et Racing-Stade Français, les gens ne veulent pas de fusion. Ils veulent garder leur identité. Un supporter est attaché à un club. C’est beau, quelque part. »

Après une première réunion de médiation à la LNR vendredi, son président Paul Goze avait annoncé la tenue d’une autre, lundi à 18h. « Il n’y aura pas de deuxième report. Que chacun prenne ses responsabilités », précisait M. Goze. Il a été entendu.

Persuadés d’être emmêlés dans un nœud gordien, Jacky Lorenzetti et Thomas Savare ont décidé, ensemble ou pas, de le trancher sans attendre, annonçant leur renoncement et coupant court aux discussions. Au huitième jour, ils souhaitaient peut être se reposer, quitte à laisser le rugby tricolore dans un état pâteux, post fusion ratée.