Guilhem Guirado et les Bleus applaudis par les Gallois, le 18 mars à Saint-Denis. | FRANCK FIFE / AFP

Pour la première fois depuis 1967, le XV de France a échoué à remporter le Tournoi des six nations lors d’une année en 7. Mais pour la première fois depuis 7 ans, les Bleus ont battu le Pays de Galles (20-18), samedi 18 mars à Saint-Denis, au bout d’une fin de match incroyable, avec un essai à la 100e minute d’un jeu qui en compte normalement 80. Cette édition 2017, dont le bouquet final restera dans les mémoires, aura été celle d’une double fin de série pour les hommes de Guy Novès, et d’un bilan qui aurait été mitigé s’il n’avait été pimenté par la victoire héroique contre le XV du Poireau.

« On peut espérer que cette équipe continue de gagner les cœurs et les esprits, mais il faut évidemment de la performance », expliquait, fin janvier, Serge Simon, vice-président en charge des équipes de France à la Fédération française de rugby (FFR). Le contrat a enfin été rempli samedi : les coeurs et les esprits se souviendront longtemps du fol épilogue qui a fait chavirer un Stade de France en délire, debout comme un seul homme après l’essai de Damien Chouly.

Le même Serge Simon espérait que le XV de France pourrait, à l’issue de ce deuxième tournoi de l’ère Novès, retrouver sa « juste place, dans les deux premiers ». Les Bleus le terminent au troisième rang, logiquement devancés (à la différence de points) par les Irlandais, épatants vainqueurs de l’Angleterre (13-9), laquelle conserve sa couronne sans réaliser l’exploit d’un deuxième Grand Chelem d’affilée. A l’heure du bilan pour les tricolores, ce premier podium depuis 2011 permet au verre d’être à moitié plein, malgré les nombreuses interrogations qui persistent quant à l’avenir de ce XV de France.

  • Un jeu qui se cherche, un état d’esprit qui s’affirme

La tournée automnale et les défaites « encourageantes » contre la Nouvelle-Zélande et l’Australie avait soulevé un enthousiasme romantique du côté des supporteurs, trop heureux de retrouver un peu de plaisir dans le jeu, et qu’importe la victoire. Le bis repetita contre l’Angleterre (16-19), le 4 février à Twickenham en ouverture du Tournoi, a commencé à lasser. Puis la victoire au forceps contre l’Ecosse (22-16), et la défaite sans appel en Irlande (9-19), ont suscité de l’inquiétude, parfois même un sentiment de régression.

Dans la foulée du succès attendu en Italie (40-18), ce dernier round contre les Gallois devait servir de juge de paix. Le rocambolesque succès du 18 mars a peut être révélé une équipe à elle-même. « C’est un match qui doit nous permettre de garder une confiance en nous, même si elle ne nous aveugle pas », s’est félicité Guy Novès en conférence de presse. « Sur ce match, ce sont les joueurs qui se sont démontrés, à eux, des choses. »

Antoine Dupont, François Trinh-Duc, Camille Chat (de dos), et Damien Chouly, le 18 mars au Stade de France. | FRANCK FIFE / AFP

Pour Camille Lopez, « c’est un profond soulagement. Ce groupe avait besoin de gagner, c’était hyper important ». « On va toujours trouver des choses à revoir, avec un gros trou d’air à l’intérieur de ce match, mais avec une fin de match un petit peu fantasque comme celle-là, le plaisir est encore meilleur », expliquait Rémi Lamerat, auteur du premier essai, quand son camarade Kevin Gourdon en rigolait encore. « Cette fin de match, c’était une parodie. Un million de mêlées, 12 000 changements, c’était n’importe quoi. L’essentiel, c’est qu’on ait gagné. » Chez les joueurs, le mot « énorme » revenait en boucle, tant pour qualifier la victoire, le bonheur, ou l’ubuesque de la fin de partie.

Mais au delà de son extraordinaire final, cette rencontre aura été à l’image de cette équipe de France : d’une splendide inconstance. Des Bleus capables de faire dévisser la défense galloise dès l’entame, puis de perdre leur rugby pendant 30 minutes, accumulant fautes de main et mauvais choix, avant d’entrer en rébellion, mais seulement une fois au bord du gouffre. « En tant que papy, je n’ai jamais vécu ce genre de dénouement. On ne peut être que fiers de nos joueurs », lâchait le sélectionneur, qui ne souhaitait pas s’appesantir sur le déchet tactique et technique qui avaient encore émaillé le jeu de son équipe.

Si loin, si proche des meilleures équipes, ce XV de France a montré contre le Pays de Galles, comme depuis le début du Tournoi, autant de limites que de promesses. Les quinze premières minutes de ce match pourront ainsi faire référence en terme de jeu, quand ses vingt dernières resteront un modèle en terme d’état d’esprit. « On dit que dans le rugby, il y a des valeurs. Je pense que cette équipe a démontré lors d’un match très très dur, qu’elle a ce caractère là, et qu’on pourra continuer à progresser sur tous les éléments contre lesquels on bute parfois », insistait Guy Novès. Un sélectionneur encore nerveux en conférence de presse, mais que ses joueurs avouaient avoir vu « heureux » dans les vestiaires, et déjà tourné vers la tournée d’été, en juin en Afrique du Sud.

Guy Novès, avant le match contre le Pays de Galles. | FRANCK FIFE / AFP

  • Des leaders en contrat d’apprentissage

Cette lucidité au bout de l’effort est peut être la plus belle récompense pour le staff tricolore. C’est ce qui avait manqué en Angleterre, ou contre l’Australie et la Nouvelle-Zélande lors des tests matchs de novembre, et c’est sur cette prise en charge de leur destin par les joueurs que les entraîneurs avaient ensuite travaillé. « Cette dernière victoire bonifie tout le travail du groupe », lâchait Baptiste Serin, quand son capitaine Guilhem Guirado qualifiait le match d’« historique » en raison du « sang froid » montré par ses partenaires.

Le match contre le Pays de Galles aura notamment permis aux Bleus de se découvrir une sagesse nouvelle grâce à l’arbitrage guère inspiré, parfois incohérent, de l’anglais Wayne Barnes. « On était arbitrés comme une très petite équipe », pestait Yoann Maestri, qui ne comprenait pas comment M. Barnes avait pu refuser l’essai de pénalité dans les arrêts de jeu, malgré les douze mêlées jouées devant l’en but gallois entre la 78e et la 99e minute... « Il y a un gros sentiment d’injustice. Heureusement que tous les huit (devant), on est allé chercher cette victoire », tonnait le deuxième ligne après la partie. « A un moment donné, on s’est un petit peu agacé et puis on a décidé de rester froid dans nos têtes et d’aller se le chercher (l’essai), de ne le devoir à personne », confirmait Louis Picamoles.

L’arbitre anglais Wayne Barnes accorde l’essai de la victoire aux Bleus, le 18 mars à Saint-Denis. | GABRIEL BOUYS / AFP

« Dans l’idéal, j’aimerais qu’il y ait 23 leaders en permanence et qu’on ne compte pas uniquement sur le chef de meute », relevait Guy Novès au mitan de la compétition. Il aura fallu en attendre les ultimes minutes pour que ses hommes se révoltent tous ensemble. « Qui a marqué l’essai à la fin ? On s’en fout. C’est l’équipe de France qui l’a marqué », s’amusait Guilhem Guirado. Un capitaine que plus personne ne conteste, mais qui a parfois été, depuis le début de l’ère Novès, un peu isolé dans sa gestion du jeu et des hommes.

Outre Louis Picamoles, élu homme du match malgré la défaite inaugurale en Angleterre, le troisième ligne rochelais Kévin Gourdon (27 ans, 10 sélections) a été annoncé comme un des patrons possibles. Ce que son entraîneur de club Patrice Collazo trouve un peu prématuré : « C’est trop tôt, il n’est pas mûr pour ça. Il le sera peut-être, mais je pense qu’en faire un leader de jeu, ce serait le brider. » Le constat vaut également pour Baptiste Serin (22 ans, 10 sélections), devenu titulaire au poste stratégique de demi de mêlée dès son premier Tournoi.

Baptiste Serin saute sur ses coéquipiers. | FRANCK FIFE / AFP

Le cas de Camille Lopez est encore différent. Si, pour la première fois depuis le Grand Chelem de 2010, la même charnière a été reconduite sur l’ensemble du Tournoi, c’est aussi parce que François Trinh-Duc était blessé au début de la compétition. Mais Lopez (27 ans, 16 sélections) a su saisir sa chance, sans faire de vagues, ni dans un sens ni dans l’autre, en jouant simple, et surtout en affichant un taux de réussite au pied, à plus de 90%, digne des meilleurs buteurs internationaux.

Cette question du leadership est forcément soluble dans celle du manque d’expérience de ce groupe, où seulement sept joueurs comptent plus de trente sélections internationales. Les sautes d’humeur adolescentes ne se gomment que d’une manière selon Camille Lopez : « il faut continuer à grandir ». « On est content d’avoir des jeunes joueurs, et parfois on voudrait qu’ils aient la maturité des vieux, mais elle viendra avec le temps », ne pouvait qu’admettre Guy Novès samedi soir. En vingt minutes d’une fin de match épique, samedi 18 mars, ces jeunes Bleus ont déjà gagné des années d’expérience.