A entendre le président Ibrahim Boubacar Keïta, on se croirait revenu à l’optimisme et à l’engouement sans pareil des conférences nationales africaines des années 1990. La conférence d’entente nationale ? Le chef de l’Etat n’a pas hésité, dans son discours à la nation de décembre 2016, à la qualifier de « jalon important dans la réhabilitation de la cohésion sociale et du vivre ensemble au Mali ».

Prévue initialement pour le dernier trimestre de 2016, cette conférence d’entente nationale est inscrite au chapitre 2 de l’accord d’Alger de mai 2015 qui met fin, officiellement du moins, à la quatrième rébellion touareg à l’origine d’une frontière virtuelle entre le sud et le nord du Mali, le Nord ayant été baptisé Azawad par les groupes rebelles. Et pourtant, jamais conférence nationale n’a semblé si lointaine, assommée par une opposition tapageuse et des parties signataires toujours armées.

Une cérémonie de trop ?

Une série de difficultés a douché l’optimisme : des attentats meurtriers à Bamako et dans les régions du Nord, des violations de cessez-le-feu entre groupes rebelles et armée nationale, des élections locales sous tension et, plus récemment, des conflits intercommunautaires entre Peuls et Bambara. Tout cela rend difficile la mise en place des autorités intérimaires, qui doivent assurer l’administration des communes en attendant les élections régionales. Dans le contexte politique, économique et sécuritaire actuel du Mali, une conférence d’entente nationale a donc tout l’air d’une cérémonie de plus, non inclusive, une cérémonie de trop à laquelle seuls quelques rares Maliens y voient un intérêt. Quelle conférence ? Quelle entente ? Quelle nation ? Et pour quels résultats ?

Une partie de l’opposition politique malienne, dirigée par l’ancien premier ministre Soumana Sacko, est non seulement ouvertement réticente à la tenue de cette conférence d’entente, elle rejette l’accord d’Alger dans son ensemble. Elle le juge susceptible de favoriser la partition du pays. L’autre frange de l’opposition, plus importante et moins radicale, est sous la direction de Soumaila Cissé, chef de file officiel de l’opposition. Elle accueille l’esprit de l’accord mais regrette de ne pas avoir été associée à la définition des termes de référence de l’organisation de ladite conférence. Elle se trouve également sous-représentée dans la commission d’organisation.

Pour couronner le tout, cette conférence d’entente nationale censée réconcilier tous les Maliens est placée sous la responsabilité d’un homme politique de la majorité, en l’occurrence le médiateur de la République, Baba Hakib Haïdara, qui n’inspire aucune confiance aux acteurs de l’opposition. Quant aux parties signataires de l’accord d’Alger, la Coordination des mouvements de l’Azawad et la Plateforme, elles n’ont jamais poussé pour la tenue de cette conférence d’entente nationale, qu’elles jugent prématurée. Leur intérêt semble plutôt porté, jusqu’à présent, sur la bonne marche des dispositions organiques de l’accord de paix : la mise en place de patrouilles mixtes au sein du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) et l’installation des autorités intérimaires dans les régions du Nord.

La société civile, d’une manière générale, pouvait croire que cette conférence allait être une panacée qui réconciliera tout le Mali. Elle semble maintenant refroidie par les dernières consultations régionales préliminaires. Des témoignages font état d’une précipitation ainsi que d’une sélection peu inclusive des participants. Le temps imparti aux gouverneurs en charge des invitations était très court, d’où des questions importantes parfois négligées et des consultations expéditives.

Débat superficiel

Cela présage d’une conférence nationale où le débat approfondi préconisé par l’accord sera plutôt superficiel, dans lequel certains acteurs surferont sur les vrais problèmes et tenteront de gagner du temps pour mieux marchander leurs doléances face au pouvoir. Cette posture ne manquera pas de mettre le gouvernement face à un dilemme : passer en force ou risquer l’immobilisme, tout en désolidarisant les acteurs principaux de la conférence.

Si la conférence d’entente nationale devait se tenir en mars, comme prévu, elle manquerait de poser les véritables jalons de la paix en réglant définitivement la brûlante question de l’existence d’un Azawad, un Etat presque indépendant qui s’étendrait sur plus de 1 000 km au-delà de Mopti. Elle pourrait également manquer de tirer avantage de l’élasticité de la thématique « causes profondes du conflit », en traitant notamment des questions de la gouvernance du Mali, depuis l’indépendance à nos jours. Soyons clairs : le manque d’adhésion des forces vives du pays au projet le rend caduque.

En théorie, la conférence d’entente nationale pourrait bien être la fondation du règlement définitif de ce conflit séparatiste, ainsi que le suggère l’accord d’Alger. Mais il faut pour cela que la conférence soit précédée par le retour de la confiance entre les différentes parties signataires et par un dialogue constructif au sein de la classe politique malienne. Une conférence d’une telle envergure mérite plus de préparation, d’engagement, de sensibilisation. Entre entente et mésentente, il n’y a que trois lettres que l’histoire devrait nous faire méditer. Trois lettres qui présagent de l’avenir du pays.

Kamissa Camara est une analyste politique affiliée au Centre d’études africaines de l’université de Harvard et au National Endowment for Democracy à Washington.

Mahamadou Konaté est professeur et analyste politique dans plusieurs écoles d’élites du Mali, notamment l’Ecole d’état-major nationale et l’Ecole de maintien de la paix Alioune Blondin Beye. Il est basé à Bamako.