Trop tard ? Trop peu ? Alors que vingt-quatre pays d’Afrique auront besoin d’assistance alimentaire en 2017 et que des situations de famine sont déjà rapportées dans trois d’entre eux – Nigeria, Somalie et Soudan du Sud –, les questions reviennent sur l’efficacité des dispositifs de réponse aux crises humanitaires.

Claus Haugaard Sorensen a été aux commandes du service d’aide humanitaire et de protection civile de l’Union européenne (ECHO) de 2011 à 2015 qui répond aux demandes d’assistance des Etats en finançant notamment les ONG qui interviennent sur le terrain. Il décrit un dispositif international saturé par la multiplication des crises.

La famine est de retour dans trois pays africains, est-ce pour vous le signe d’un échec des dispositifs de prévention de telles catastrophes ?

Claus Haugaard Sorensen Il est clair qu’il s’agit d’un échec de la prévention et de l’anticipation. Pourtant, contrairement à la famine de 2011 en Somalie où les alertes sont remontées relativement tard, les chiffres cette fois-ci étaient là. Tout le monde savait que quelque chose de grave se préparait. Faire en sorte que ces avertissements parviennent jusqu’aux grands décideurs reste toutefois toujours un défi. Il faut en avoir conscience. Je ne dis pas cela pour trouver des excuses. Mais la réalité, c’est que les crises se sont multipliées au cours des quatre dernières années. La Syrie, l’Irak captent toute l’attention au point certainement de ne pas avoir pris la mesure de ce qui se passait en Afrique. Et il faut reconnaître aussi une « fatigue » des donateurs. Les sommes nécessaires pour faire face à toutes les crises humanitaires n’ont cessé d’augmenter.

Les opérations humanitaires sont des réponses d’urgence. Après la famine somalienne de 2011 responsable de 260 000 morts, un consensus s’était forgé pour consolider les systèmes agricoles des pays confrontés à l’insécurité alimentaire, qu’en est-il advenu ?

L’aide humanitaire en soi ne peut pas résoudre le problème de l’insécurité alimentaire chronique de ces pays. C’est l’ambulance qui vient pour ramasser les victimes, éviter que trop d’enfants ne meurent, que trop de familles ne soient contraintes de vendre leur terre, leur bétail car, une fois qu’elles ont tout vendu, il leur est impossible de rebondir. Oui, nous avions collectivement décidé d’investir davantage dans des agricultures plus résistantes aux chocs. Cela veut dire, par exemple, introduire des semences résistantes à la sécheresse, sécuriser l’approvisionnement en eau, améliorer le stockage des récoltes… Nous devons reconnaître que très peu a été fait car, pour vraiment prendre à bras-le-corps ce problème, il faudrait réformer en profondeur l’aide au développement.

Comment cela ?

L’aide au développement doit être massivement réorientée vers les régions les plus vulnérables et être en priorité affectée à l’agriculture et à la santé de base. Il faut arrêter de mettre l’argent dans les zones urbaines où la croissance est déjà là, abandonner la construction d’infrastructures comme ces autoroutes qui relient les aéroports aux palais présidentiels…

Dans les pays d’Afrique confrontés à l’insécurité alimentaire, le changement climatique est devenu un facteur quasi permanent. Chaque année, cela va de mal en pis, il faut admettre cette réalité. Conjugués à une forte pression démographique, les risques ne cesseront d’augmenter si des mesures ne sont pas prises pour aider les populations rurales.

Vous parlez du changement climatique mais, au Nigeria, en Somalie et au Soudan du Sud, ce sont les conflits qui sont la cause principale des famines…

C’est pour moi la question de l’œuf ou de la poule. Les conflits prennent naissance dans les régions où existent des pénuries, où les jeunes n’ont aucune perspective d’avenir. Les violences se greffent sur des situations déjà désastreuses sur le plan économique, sanitaire… La dégradation environnementale couplée à l’incapacité de ces populations à faire face aux chocs sont pour moi les causes profondes des crises humanitaires actuelles. Ce n’est pas hasard si les Chabab ont pris pied en Somalie et Boko Haram, autour du lac Tchad.

Les ONG humanitaires du Sud dénoncent l’attitude des bailleurs qui refusent de les financer car elles ont du mal à répondre à leurs exigences administratives. Cette attitude nuit, selon elles, à l’efficacité des interventions humanitaires, qu’en pensez-vous ?

Elles ont raison. Les bailleurs du Nord doivent faire preuve de plus de souplesse pour associer les ONG du Sud. L’Union européenne doit se donner les moyens juridiques de les financer directement. Néanmoins, la vérité c’est aussi que la plupart des grandes ONG internationales sous-traitent à des ONG locales, en particulier dans les régions de grande insécurité. La vraie limite pour intervenir vite et massivement tient davantage au manque de personnes qualifiées disponibles sur le terrain.