« Un nouveau chapitre » s’est ouvert dans les relations entre l’Eglise catholique et le Rwanda. C’est ainsi que Paul Kagamé a salué sa rencontre, lundi 20 mars, au Vatican, avec le pape François. Sans évoquer la responsabilité du Vatican dans le génocide de 1994, qui a causé la mort d’au moins 800 000 Tutsi et opposants hutu, le pontife a imploré « le pardon de Dieu pour les péchés et les échecs de l’Eglise et de ses membres ».

En novembre 2016, les évêques du Rwanda avaient présenté des excuses pour la participation de catholiques, y compris des prêtres, au massacre, mais sans reconnaître les fautes de leur institution. Le gouvernement de Kigali avait alors considéré ces excuses comme « profondément inadéquates », considérant que, « au vu de l’échelle à laquelle ces crimes ont été commis, des excuses de la part du Vatican seraient amplement justifiées ».

Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique et progressiste Golias, explique en quoi le pape François a franchi un pas.

Cette rencontre entre le pape François et Paul Kagamé marque-t-elle un tournant dans les relations entre le Vatican et Kigali ?

Christian Terras A la différence de ses prédécesseurs, le pape François implore le pardon de Dieu pour le génocide, mais, surtout, il intègre l’Eglise catholique en tant qu’institution dans les responsables de ce drame. Auparavant, Jean-Paul II avait fait un savant distinguo entre les membres qui avaient participé au crime des crimes, les prêtres, les religieux ou les religieuses, et l’institution, qu’il jugeait innocente et sans responsabilité historique. En faisant cette demande de pardon au nom de l’Eglise, le pape François a bougé le curseur. C’est grâce à cela que l’on assiste à une réconciliation entre le Rwanda et l’Eglise catholique.

Si le pape a imploré le pardon de Dieu pour les péchés et les manquements de l’Eglise et de ses membres, il ne s’est en revanche pas prononcé sur le rôle du Vatican…

C’est la subtilité de ce pape jésuite qui n’est pas allé là où Paul Kagamé voulait dans la reconnaissance de la responsabilité du Vatican en tant qu’Etat dans le génocide. De manière très subtile, en mettant en avant la responsabilité de l’Eglise en tant qu’institution, le pape François a éludé le rôle du Vatican.

En quoi la démarche de François est-elle si différente de celle de Jean-Paul II qui, lors du Jubilé de l’an 2000, avait déjà fait acte de repentance ?

Contrairement à Jean-Paul II, le pape François fait une identification de l’Eglise avec les responsabilités de ses membres. Ses propos tranchent aussi avec ce que disaient les évêques rwandais, alignés sur le discours de Jean-Paul II qui avait une conception très sacralisée de l’Eglise, d’une institution impeccable, sans péché.

François est allé contre cette doctrine, même s’il n’est pas allé jusqu’au bout en impliquant le Vatican et a manqué d’intégrer la dimension de la justice dans son communiqué. Cette question est importante car il n’y a pas de pardon sans justice et l’Eglise a trop souvent soustrait des prêtres des poursuites auxquels ils auraient dû faire face.

La responsabilité de l’Eglise catholique dans le génocide est régulièrement dénoncée, mais quelle est-elle réellement selon vous ?

C’est la même responsabilité que celle du colonisateur. Elle est énorme car le Rwanda était une sorte de théocratie où l’Eglise possédait de nombreuses propriétés et contrôlait le système éducatif, de santé et financier. La plupart des hommes politiques rwandais étaient passés par les séminaires catholiques et sont une émanation de l’Eglise. Il y a donc une responsabilité culturelle évidente. Après avoir parrainé les Tutsi jusque dans les années d’indépendance, l’Eglise a fait alliance avec les Hutu, car les Tutsi se tournaient alors vers les pays socialistes. A partir de ce renversement d’alliance des années 1960 au profit des Hutu, qui étaient majoritaires, on a assisté à la mise en place d’une culture racialiste, qui ne touchait pas que l’Eglise catholique, qui a donné lieu, de 1960 à 1994 à des pogroms et à une chasse aux Tutsi qui aboutira à cette « solution finale » de 1994. Bien sûr, l’Eglise n’a pas organisé le génocide, mais, idéologiquement et culturellement, elle y a participé en diffusant ce poison racialiste.

Quand François parle de « purification de la mémoire », est-ce aussi au moyen de mettre de côté certains contentieux comme l’assassinat de trois évêques en juin 1994 par des soldats du Front patriotique rwandais (FPR) ?

François fait preuve d’un certain équilibrisme en parlant de « purifier la mémoire » des responsabilités de l’Eglise catholique et de ce qui pourrait être attribué au FPR. En fait, cela est dans l’esprit de réconciliation que le pape veut engager avec Paul Kagamé alors que les relations entre le Rwanda et le Vatican étaient jusque-là très compliquées.

La rencontre des deux hommes et le discours de François étaient, je crois, une manière de resituer l’Eglise catholique au centre du paysage rwandais alors qu’elle a été très décriée, est devenue très minoritaire par rapport aux églises évangéliques. François a donc, par une pacification des esprits, tenté un discours qui pourrait permettre à l’Eglise catholique de se recrédibliser et de redevenir centrale dans le jeu politique rwandais.

L’Eglise catholique est également très investie dans la résolution de la crise politique en République démocratique du Congo (RDC). Est-elle en train d’accentuer son rôle politique en Afrique ?

Dans la région des Grands-Lacs, c’est très clair, mais cela se fait avec beaucoup de difficultés. L’émissaire du Vatican en RDC a énormément de difficultés à parvenir à ses fins, mais il y a une volonté très forte de François pour que cette région retrouve la paix. Le Vatican a clairement une stratégie pour les Grands-Lacs afin que les conflits cessent et que l’Eglise catholique redevienne une médiatrice importante, comme par le passé, dans la résolution des crises.