« Pour nombre d’Algériens, l’arrivée au pouvoir, en 1999, de la dernière grande figure de la lutte pour l’indépendance a coïncidé avec le retour à la paix après une décennie de guerre civile et avec un afflux considérable de dollars grâce à la flambée des prix du pétrole ». (Abdelaziz Bouteflika, alors candidat à l’élection présidentielle, s’adresse à la foule, à Adrar, à 1 400 km au sud-ouest d’Alger, le 9 avril 1999). | MANOOCHER DEGHATI / AFP

Abdelaziz Bouteflika est réapparu. Dimanche 19 mars, la télévision d’Etat a diffusé une courte séquence vidéo, sans son, montrant le chef de l’Etat algérien en pleine audience avec l’un de ses ministres. Vêtu d’un costume noir, il écoute, figé, esquissant quelques gestes lents. Depuis plus d’un mois, il était invisible. Après l’annonce de l’annulation de sa rencontre avec Angela Merkel, le 20 février, les rendez-vous manqués s’étaient multipliés : le ministre espagnol des affaires étrangères, en visite à Alger, n’a pas été reçu par le président, et le dirigeant iranien Hassan Rohani a annulé une tournée de trois pays, dont l’Algérie.

Officiellement, M. Bouteflika souffrait d’une bronchite aiguë. Il va bien, avaient souligné pendant son absence plusieurs responsables algériens, dont le premier ministre Abdelmalek Sellal ou le chef de la diplomatie Ramtane Lamamra. Evidemment sans calmer les rumeurs et conjectures qui ont secoué les réseaux sociaux et la presse algériens. L’apparition du 19 mars va y mettre un terme. Au moins provisoirement. Victime d’un AVC en 2013, affaibli, le chef de l’Etat mesure ses apparitions depuis des années. Il est photographié ou filmé lors de visites de personnalités étrangères. A l’automne 2016, il avait osé quelques sorties publiques. Le reste du temps, M. Bouteflika s’exprime par communiqués.

L’absence du chef de l’Etat agace, inquiète, met en colère les Algériens. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est pas lui qui est en cause, et vous ne trouverez que peu d’entre eux pour le critiquer. Vous les entendrez plutôt dire que l’homme est fatigué, et qu’il a le droit au repos et à un traitement honorable. Pour nombre d’Algériens, l’arrivée au pouvoir, en 1999, de la dernière grande figure de la lutte pour l’indépendance a coïncidé avec le retour à la paix après une décennie de guerre civile et avec un afflux considérable de dollars grâce à la flambée des prix du pétrole.

Une impasse structurelle

Certes, la manne des hydrocarbures s’est accompagnée d’une explosion de la corruption, mais elle a été en partie redistribuée aux Algériens par le mécanisme des subventions aux produits alimentaires, aux carburants, les prêts aux jeunes…

Les Algériens ne souhaitent pas que leur président meure, ils espèrent plutôt que leur pays se remette à vivre. La chute des prix du brut a touché de plein fouet les finances nationales. En quelques mois, l’Algérie s’est retrouvée avec un baril à moins de 50 dollars, contre plus de 100 auparavant. N’importe quel pays aurait le plus grand mal à faire face à un tel manque-à-gagner.

Mais, en Algérie, l’impasse est structurelle. En quinze ans de boom pétrolier, les autorités ont été incapables de soutenir la mise en place d’un secteur privé dynamique et créateur d’emplois. Certaines infrastructures se sont améliorées, plusieurs groupes affichent une belle réussite, mais aucun secteur n’est devenu un segment significatif de l’économie. Le tourisme, dans l’un des plus beaux pays de la région, l’agriculture et les énergies alternatives sont quasiment au point mort.

dans un pays qui a connu une guerre d’indépendance puis une guerre civile en un demi-siècle, la part de stabilité qu’offre le système actuel rassure

Les Algériens ne font plus de politique non plus. Pas tant par peur de la répression que par désillusion : les méthodes du sérail ont vidé l’engagement politique de tout sens. Bien sûr, des jeunes Algériens s’en prennent à la « clique » au pouvoir, à ces « vieux » qui ne veulent pas lâcher la barre, à la hogra, l’arbitraire comme mode de gouvernance. Mais, là encore, dans un pays qui a connu une guerre d’indépendance puis une guerre civile en un demi-siècle, la part de stabilité qu’offre le système actuel rassure. L’Algérie a réussi jusqu’ici à faire face à la menace terroriste malgré l’immensité de son territoire et la dangerosité de ses frontières. Les habitants en savent gré à leurs autorités et aux forces de l’ordre.

Absence de vision

Les Algériens souffrent, en revanche, de l’absence de vision pour leur pays. Comment va-t-il faire face à la crise pétrolière ? Quels seront ses atouts pour affronter le XXIe siècle ? Quelle est sa place en Afrique ? A quoi veut-il œuvrer dans le monde arabe, au Maghreb ? Les responsables rétorquent que leur force réside justement dans leur discrétion, diplomatique notamment. Certes, mais les Algériens ont besoin d’un sens collectif, auquel la dénonciation régulière de l’ancienne puissance coloniale, la France, ne peut plus tenir lieu de seule réponse.

Hasard du calendrier, les interrogations sans fin autour de la santé du président Bouteflika ont coïncidé avec la sortie d’un clip, « Territory », du groupe de musique électro The Blaze, composé de deux jeunes Français. On y voit un jeune Algérien rentrer au pays, étreindre les siens, danser sur les toits, courir sur la plage. On y voit la beauté de la baie d’Alger au soir couchant, la vie quotidienne des Algérois, le bouillonnement d’une jeunesse qui tient les murs. Tout cela porté par des images splendides et une énergie communicative. Un clip en forme de déclaration d’amour à ce pays, qui a connu un succès phénoménal sur les réseaux sociaux.

Une exception ? Certainement pas. Réalisateurs, chefs d’entreprise, auteurs, photographes, talentueux et ambitieux, sont nombreux. Une jeunesse qui n’a pas peur de regarder son histoire ni son avenir en face. Dans le milieu du cinéma, le cinéaste Hassen Ferhani, tout juste 30 ans, a remporté une dizaine de prix dans le monde entier en 2016 pour son documentaire, Dans ma tête un rond-point, tourné dans les abattoirs d’Alger. En Algérie, il avait juste obtenu une subvention en post-production. Cette Algérie qui bouillonne d’envie et de talents attend que le pays se remette à avancer. Elle est prête à y prendre sa part. Encore faut-il qu’on lui tende la main. Et cela n’a rien à voir avec la santé d’un président.