Longtemps critiqué pour la passivité de sa politique de modération, Twitter a annoncé, mardi 21 mars, avoir suspendu 377 000 comptes incitant au terrorisme sur les six derniers mois de 2016, après en avoir supprimé 235 000 au premier semestre. L’entreprise avait auparavant fait savoir qu’elle automatisait son processus de détection de ce type de comptes.

Pour Romain Caillet, expert de la mouvance djihadiste et auteur de plusieurs études pour l’Institut français du Proche-Orient et auteur du blog Jihadologie, le resserrement de la modération de Twitter a eu des conséquences : une migration des sympathisants de l’organisation Etat islamique (EI) sur la messagerie Telegram, notamment, avec les moyens de revenir si le besoin s’en fait sentir.

Twitter a annoncé la suppression de 377 000 comptes djihadistes dans la seconde moitié de 2016. Est-ce que ce chiffre se traduit par un reflux des discours de sympathisants de l’EI, par exemple, sur le réseau social ?

Oui, parce que les djihadistes ne sont plus sur Twitter, mais sur Telegram. On trouve encore quelques messages djihadistes, mais cela plus rien à voir. Pour la veille sur l’actualité djihadiste, Twitter ne sert plus à rien, que ce soit pour les francophones ou les arabophones. En mars 2015, j’avais participé à une réunion avec Facebook, qui se demandait comment lutter contre les contenus djihadistes. Mais ils n’avaient même pas besoin de faire quoique ce soit, ceux-ci étaient déjà en train de migrer. Il s’est passé la même chose avec Twitter. Ce n’est plus une source d’information djihadiste.

Cela ne veut pas dire que les sympathisants djihadistes ne reviendront pas. Ils sont déjà brièvement revenus sur Facebook il y a six mois, après l’avoir déserté, et y ont même été davantage présents que sur Twitter. Mais actuellement, la dynamique est plutôt d’abandonner Twitter. Durant une période, les djihadistes reprenaient plein de vieux comptes abandonnés pendant plusieurs semaines, qu’il était facile de réactiver. Quand les djihadistes voulaient s’accrocher à ce réseau, cela ne les dérangeait pas de créer cinquante comptes chacun. Certains annonçaient fièrement leur deux-centième compte.

Est-ce que ce passage sur Telegram est la conséquence d’un changement de stratégie ou de la modération de Twitter ?

S’ils avaient pu rester sur Twitter ils l’auraient fait ; tout comme les djihadistes français auraient préféré rester sur Facebook. Mais cela devenait difficile de continuer à employer Twitter, alors ils sont passés sur Telegram. Ils ne touchent plus le même public, mais un cercle d’initiés, de djihadistes convaincus, mais cela peut être provisoire.

Telegram offre-t-il un écosystème plus tranquille pour les diffuseurs de propagande djihadiste ?

Il n’y a rien de comparable à la situation [dont ils jouissaient] sur Twitter entre début 2013, quand les djihadistes s’y sont installés, et septembre 2014. Avant, pour se faire supprimer son compte, il fallait revendiquer officiellement un attentat et être le premier à le faire. Alors, Twitter intervenait ! Sinon, jamais un compte ne sautait. Telegram, dès le début, a commencé à censurer certains comptes. Certains gros comptes sur cette messagerie, qui semblaient intouchables, ont sauté récemment. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas affirmer que les djihadistes ne finiront pas par revenir sur Twitter.

A vous entendre, la propagande djihadiste est devenue à la fois plus clandestine et déclinante. Est-ce le cas ?

On peut se demander si ce sont les défaites sur le terrain qui font que les djihadistes postent moins de vidéos, ou s’il y a moins de gens qui veulent en voir. Pour un sympathisant, même une mise en scène de résistance héroïque à Mossoul est un contenu moins intéressant qu’une victoire.

Mais ce qu’il sera intéressant d’observer, c’est après. L’EI est actuellement sur un mode défensif, ses adversaires remportent des batailles, ils sont dans une dynamique de défaite. Mais quand ils auront perdu tout leur territoire, ils passeront en mode « chasseurs ». Ils seront dans la clandestinité, n’auront plus rien à perdre, et communiqueront uniquement sur des actions victorieuses : prise de bâtiments officiels, assassinats ciblés, attentats majeurs…

Si leurs vidéos sont réussies – selon les critères djihadistes, c’est-à-dire avec des images de qualité, spectaculaires – elles tourneront sur Internet dans les sphères des sympathisants, qui les relayeront. L’EI a encore de nombreux comptes sur YouTube qui n’ont toujours pas été identifiés par les veilleurs des différents réseaux sociaux.