Le parquet de Paris a requis un non-lieu dans l’enquête sur les accusations de viols portées par des enfants contre des soldats français de l’opération « Sangaris » en République centrafricaine (RCA), en 2013-2014.

L’affaire avait été révélée en avril 2015 quand le quotidien britannique The Guardian avait fait état d’une note interne de l’Organisation des Nations unies (ONU) relatant les auditions de six enfants âgés de 9 à 13 ans, qui dénonçaient des abus sexuels commis par des militaires dans le camp de déplacés de l’aéroport M’Poko de Bangui, en échange de rations de nourritures, entre décembre 2013 et juin 2014.

Cette enquête concerne des accusations visant la force « Sangaris », qui n’est pas sous commandement de l’ONU. Elle est distincte des enquêtes menées par les Nations unies sur des allégations d’abus sexuels concernant la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (Minusca).

Il appartient désormais aux juges d’instruction d’ordonner un procès ou de confirmer le non-lieu ; l’hypothèse la plus probable puisque aucune mise en examen n’a été prononcée dans le cadre de l’instruction ouverte en mai 2015.

Saisi par le ministère de la défense, le parquet de Paris avait ouvert dès juillet 2014 une enquête préliminaire, mais son existence était restée secrète et les autorités françaises ainsi que l’ONU avaient été accusées d’étouffer l’affaire. Plusieurs autres scandales touchant d’autres contingents ont éclaté depuis et les Nations unies sont très critiquées pour leur incapacité à enrayer le phénomène.

La France est intervenue en RCA en décembre 2013 en pleine guerre civile, déployant jusqu’à 2 500 soldats dans le pays. L’opération « Sangaris » a été officiellement close à la fin d’octobre 2016. Elle avait pour objet de restaurer la sécurité après des mois de violences confessionnelles entre rebelles musulmans, les Séléka, et miliciens chrétiens, les anti-balaka.

Enquête difficile

Dans leurs témoignages, les enfants avaient donné des détails, tels que des surnoms ou des caractéristiques physiques des militaires, permettant d’identifier 14 possibles agresseurs. Les juges et la gendarmerie prévôtale, chargée d’enquêter sur les militaires en opération extérieure, se sont rendus à Bangui en 2015 et 2016 pour entendre de nouveau les enfants.

Ces auditions, menées longtemps après les faits, ont soulevé de nouvelles questions. Face à des photos, un enfant a dit reconnaître son agresseur mais il ne s’agissait pas d’un militaire. Un autre a concédé avoir menti. Un autre encore disait avoir lu le nom d’un soldat sur son uniforme, mais un rapide test a montré qu’il ne savait pas déchiffrer le mot « maman », énumère une source proche du dossier.

Partie civile, l’association End Child Prostitution, Child Pornography and Trafficking of Children for Sexual Purposes (Ecpat – « Mettre fin à la prostitution infantile, à la pornographie infantile et au trafic d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle »), qui lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants, a demandé une expertise pour s’assurer que la parole des garçons avait bien été prise en compte et que les discordances dans les récits ne pouvaient provenir de leur traumatisme.

« Le parquet n’a même pas attendu que les juges se prononcent sur cette demande », regrette l’avocat de l’association, Me Emmanuel Daoud. « C’est la manifestation d’un manque de considération pour les parties civiles et cela alimente le soupçon de vouloir en terminer au plus vite avec ce dossier. »

Entendue par les enquêteurs, la fonctionnaire onusienne qui avait recueilli les premiers témoignages s’est dite convaincue de la sincérité du discours des enfants.

Six militaires désignés comme pouvant être des agresseurs ont été identifiés, puis entendus, dont l’un en garde à vue. Certains ont affirmé avoir donné des rations alimentaires, dans un contexte de grande pauvreté, mais ils ont nié tout abus sexuel. Leur placement sur écoute n’a pas permis d’étayer les soupçons.

Sur le téléphone de l’un d’eux, des dizaines de vidéos pornographiques ont été retrouvées, dont huit à caractère pédopornographique, un nombre de fichiers trop faible pour caractériser un profil de pédophile, selon une source proche de l’enquête.

Une autre enquête judiciaire, toujours en cours, porte sur des faits similaires visant des soldats de « Sangaris », de 2013 à 2015, dans l’est du pays.