LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, de bonnes raisons d’aller dans les salles obscures : deux documentaires politiques réalisés par des écrivains, Jonathan Littell et François Begaudeau, ou bien, côté fiction, un thriller anglais grinçant et un film pour ados français.

JONATHAN LITELL TOUJOURS SOUS L’EMPIRE DU MAL : « Wrong Elements »

Bande-annonce - WRONG ELEMENTS de Jonathan Littell
Durée : 01:57

On savait que, à l’instar de son père Robert, Jonathan Littell cumulait un talent tant journalistique que littéraire, une filiation tant américaine que française. Il faut à compter d’aujourd’hui ajouter le cinéma au nombre des talents du fils, en admettant que l’auteur du roman Les Bienveillantes, prix Goncourt 2006, est également capable de signer un documentaire, remarquable, qui ne suscite pas la moquerie des cinéphiles à l’égard des littérateurs glissant avec prestance sur la peau de banane cinématographique.

Non moins que son roman, le film distille un sentiment de gêne aux entournures. Le film est tourné en Ouganda ; ses personnages principaux sont en effet d’ex-enfants soldats, kidnappés par la guérilla terrifiante de l’Armée de résistance du seigneur, libérés de la guerre une fois devenus adultes.

La grandeur de ce documentaire consiste dans la neutralité « bienveillante » qu’adopte à leur égard le réalisateur. A rebours de l’Américain Joshua Oppenheimer, qui montrait la pure monstruosité des bourreaux indonésiens dans le chef d’œuvre Act of Killing (2012), Jonathan Littell nous révèle quant à lui l’humanité de bourreaux saisis dans leur condition de victimes. De sorte que ce qu’on exige de toute œuvre, son universalité, se trouve pris ici dans une troublante contradiction, tant son sujet est singulier. C’est d’ailleurs bien ainsi que Jonathan Littell s’intéresse au Mal : ni dans sa monstruosité ni dans sa banalité, mais dans sa singularité. Jacques Mandelbaum

« Wrong Elements », documentaire français de Jonathan Littell (2 h 13).

UN THRILLER SARDONIQUE DANS L’OMBRE DE POLANSKI : « London House »

LONDON HOUSE Bande Annonce (Clémence Poesy, Thriller - 2017)
Durée : 02:08

Il est des configurations qui empêchent d’ignorer ses voisins. Comme d’habiter dans un de ces petits immeubles londoniens huppés avec, à l’arrière, un jardinet plus bas que la rue, et où il n’y a de place que pour deux appartements.

Le scénario de l’efficace thriller de David Farr joue sur cette homogénéité sociale. En haut, Kate (Clémence Poésy) et Justin (Stephen Campbell Moore) sont déjà bien installés. Ils seront bientôt parents de leur premier enfant. Dans l’appartement du bas, Theresa (Laura Birn) et Jon (David Morrissey) attendent eux aussi leur premier-né.

Puisqu’il s’agit d’un thriller, il faut bien qu’un événement violent vienne arracher cette chronique sardonique à l’étude de couple pour la précipiter dans les incertitudes du crime. London House trouve ses modèles chez Polanski (Rosemary’s Baby et Le Locataire), c’est dire qu’on ne peut dévoiler grand-chose de l’intrigue sans, dans le même mouvement, en laisser deviner les mécanismes. Thomas Sotinel

« London House », film britannique de David Farr, avec Clémence Poésy, David Morrissey, Laura Birn, Stephen Campbell Moore (1 h 26).

SALE VOYAGE POUR LES ADOS : « Going to Brazil »

GOING TO BRAZIL Bande Annonce VF (Sexy Comédie 2017) Alison Wheeler
Durée : 02:09

Trois copines sont invitées au Brésil pour célébrer en grande pompe le mariage de leur meilleure amie. En attendant de la rejoindre, elles passent une nuit fiévreuse dans une boîte de nuit brésilienne. La fête bat son plein lorsqu’un garçon un peu trop insistant essaie de violer l’une des trois amies : elle le repousse brutalement, jusqu’à le faire chuter du haut de la terrasse. C’est avec un meurtre accidentel sur la conscience que la bande va devoir passer son séjour brésilien.

A seulement essayer de raconter le film, on se rend compte que Going to Brazil s’inspire directement de Very Bad Trip : il envisage son scénario comme une interminable gueule de bois où les catastrophes s’emboîtent à qui mieux mieux. Tout en surfant sur cette vague, le film arrive pourtant à creuser sa propre voie de sympathique petit production délurée pour adolescents. Murielle Joudet

« Going to Brazil », film français de Patrick Mille. Avec Vanessa Guide, Alison Wheeler, Margot Bancilhon (1 h 34).

LA MAYENNE, LABORATOIRE DÉMOCRATIQUE : « N’importe qui »

Au départ, N’importe qui n’était pas destiné à sortir ailleurs qu’en Mayenne, là où François Bégaudeau, alors invité en résidence, a tourné son documentaire. L’idée était de poser au premier venu la question suivante : « Vous sentez-vous représenté ? »

Le micro-trottoir échoue et fait surtout apparaître l’échec de la méthode expéditive : s’interroger sur la démocratie demande plus de temps et de rigueur, c’est même un exercice fatigant et qui, peut-être, n’intéresse pas tout le monde.

Après cette mise en bouche tragicomique, Bégaudeau se recentre, revoit sa méthode et choisit ses intervenants un peu moins au hasard : des associatifs, une sénatrice, un opposant d’extrême droite, un agriculteur ou encore une architecte.

D’un bout à l’autre du documentaire, c’est surtout la modestie du projet qui frappe : N’importe qui ne prétend rien résoudre et préfère même tout complexifier, il ne se fixe aucune destination particulière et choisit de démultiplier les interrogations plutôt que d’apporter des réponses. C’est ce qui explique certainement l’engouement suscité par le film, réclamé après sa sortie en Mayenne par des salles de cinéma ou des festivals. Cette volonté d’inachèvement est à comprendre comme une invitation à poursuivre la discussion bien après la séance. M. J.

« N’importe qui », documentaire français de François Bégaudeau (1 h 54).