Par Agnès Bénassy-Quéré

Leonhard Foeger / Reuters

Alors que le Parlement européen a validé, en février, le principe d’une « capacité budgétaire » pour la zone euro, on trouve dans les programmes de certains candidats français à l’élection présidentielle des propositions telles qu’un « budget de la zone euro », une « mutualisation des dettes publiques » ou une « mise en commun des dettes ». De quoi s’agit-il ?

L’euro est une monnaie sans Etat et sans budget. Une partie des ­difficultés actuelles que traverse la zone euro, dont certains membres peinent à renouer avec une croissance solide, vient de cette bizarrerie congénitale. C’est pour cela, par exemple, que la Banque centrale européenne (BCE) a été en retard sur ses homologues américains ou ­britanniques pour répondre à la crise. C’est aussi pour cette raison, en partie, que la crise bancaire est si difficile à résoudre et que la réponse budgétaire à la récession n’a pas été toujours adaptée. Pourtant, une union budgétaire peut répondre à trois objectifs : gérer les dettes ­héritées du passé, investir dans l’avenir, ou encore disposer d’un outil de stabilisation macroéconomique, qui atténuerait les variations à la hausse ou à la baisse trop forte de la croissance économique. Selon l’objectif choisi, le dispositif à mettre en place diffère fortement.

Les prérogatives du MES

La gestion de l’héritage est aujourd’hui assurée par le Mécanisme ­européen de stabilité (MES), créé en 2012 en réponse à la crise des dettes ­publiques. Cette institution prête aux Etats en difficulté, en échange d’un programme d’ajustement, après une éventuelle restructuration des dettes existantes. Les prérogatives du MES pourraient être étendues de deux manières. D’une part, le MES pourrait offrir des lignes de crédit automatiques aux Etats membres confrontés à des difficultés transitoires – à condition qu’ils respectent, au préalable, un critère tel qu’un déficit budgétaire inférieur à 3 % du produit intérieur brut (PIB). Un tel dispositif gommerait l’écart problématique entre la situation normale – les Etats se financent sur les marchés – et la situation de crise aiguë – les Etats se financent auprès du MES, avec des conditions douloureuses. D’autre part, le MES pourrait organiser un échange des dettes nationales contre des dettes fédérales, qu’il se chargerait d’émettre. Il s’agit de créer un actif fédéral à partir des dettes souveraines nationales, de façon à stabiliser le système financier européen. C’est essentiel, car, en détenant ces obligations fédérales plutôt que des dettes de tel ou tel Etat membre, les banques seraient à l’abri des prochaines tensions sur les pays très endettés, comme on l’a observé en 2012, au plus fort de la crise des dettes.

Une deuxième forme d’union budgétaire consiste à financer des politiques d’intérêt commun telles que la défense, la sécurité ou la croissance économique. C’est la fonction traditionnellement assignée au budget de l’Union européenne. Dupliquer les efforts, au niveau cette fois de la zone euro, n’a rien d’évident, d’autant que les discussions sur le budget de l’UE pour 2021-2028 vont bientôt commencer. Deux arguments ­justifient cependant un budget au niveau de la zone euro. D’abord, ­l’absence de croissance dans un Etat membre, tout comme l’introduction de barrières à la mobilité des travailleurs, est bien plus préjudiciable au sein de l’union monétaire que pour des pays hors zone euro. ­Ensuite, il est sans doute moins difficile de s’entendre sur des objectifs nouveaux au sein d’une union avec 19 pays plutôt que 27.

Règles (quasi) automatiques

Enfin, une union budgétaire pourrait se fixer un but de stabilisation macroéconomique. Aujourd’hui, la stabilisation budgétaire, qui consiste en théorie à creuser le déficit public pour soutenir l’activité en période de crise et à redresser les comptes en période plus prospère, est du ressort des gouvernements nationaux, encadrés par les règles budgétaires européennes. Cette situation n’est pas satisfaisante à l’échelle des Etats, où il n’est pas rare qu’un gouvernement fasse l’inverse – faire de l’austérité en période de récession et distribuer des cadeaux fiscaux en période de reprise. Elle ne l’est pas non plus au niveau collectif. Un budget ­de stabilisation au niveau de la zone euro pourrait alors être vu comme un substitut à cette configuration qui ne fonctionne pas. L’expérience ­passée des Etats membres suggère que, pour être efficace, un tel budget devrait reposer sur des règles (quasi) automatiques, de manière à éliminer les délais et aléas propres à tout processus politique.

Ces trois formes d’union budgétaire n’ont ainsi pas les mêmes implications en termes institutionnels. Faire fonctionner un fonds commun avec des règles bien établies n’est en effet pas la même chose que de ­décider, année après année, de dépenser un budget commun pour tel ou tel objectif. Bien sûr, les trois approches pourraient être menées de front. Il est cependant important de ne pas les mélanger si l’on souhaite atteindre les différents objectifs au moindre coût. Et, pour commencer, convaincre nos partenaires européens.

Agnès Bénassy-Quéré est professeure ­à l’école ­d’économie de Paris et présidente déléguée ­du Conseil d’analyse économique.