Documentaire sur France 3 à 23 h 10

Le premier ministre Edouard Balladur (à droite) s'entretient avec le président du RPR Jacques Chirac, le 26 septembre 1993 à La Rochelle, lors du rassemblement d’automne des parlementaires du parti gaulliste. | DERRICK CEYRAC/AFP

La campagne présidentielle de 2017 n’est pas la seule à avoir connu des soubresauts et des rebondissements inattendus. Celle de 1995 opposant au premier tour Jacques Chirac et Edouard Balladur, les deux « amis de trente ans » du parti gaulliste, a été violente et destructrice, comme le rappelle le journaliste Jean-Charles Deniau dans son documentaire Balladur - Chirac, mensonges et trahisons.

Le 7 mai 1995, tout le monde se souvient de cette CX Citroën, relique des années 1970, filant dans la nuit parisienne avec cette main tendue à travers la vitre arrière pour saluer la foule. Cette main, c’était celle de Jacques Chirac tout juste élu président de la République face à Lionel Jospin. Sourire coincé, l’ancien maire de Paris refusait de répondre aux journalistes qui le poursuivaient à moto. En cette soirée d’élection au poste suprême de la République, il savourait une victoire qui couronnait trente ans de vie politique après deux tentatives infructu­euses, mais surtout, il savait qu’en cette nuit de printemps il revenait de très loin.

Guerre des droites

En effet, quelques mois avant son triomphe, Jacques Chirac était un homme seul. Jeté dans la poubelle de l’Histoire par ses propres amis politiques, il avait été trahi par Edouard Balladur qu’il avait « placé » à Matignon deux ans plus tôt afin que ce dernier lui prépare leterrain de l’Elysée. Son « boulot de dans deux ans », comme l’avaient popularisé « Les Guignols de l’Info » sur Canal+.

S’asseyant sur sa promesse de ne pas se présenter à l’élection présidentielle en échange du pos­te de premier ministre de cohabitation avec François Mitterrand, Edouard Balladur avait franchi le pas et, de fait, déclenché une guerre des droites qui fit d’énormes dégâts dans ses rangs ­pendant de nombreuses années.

C’est cet incroyable combat fratricide qui est raconté avec détails et témoignages dans ce passionnant documentaire. On y retrouve des témoins de premier plan comme Bernard Pons et ­Roselyne Bachelot, qui ont accompagné Jacques Chirac dans sa longue traversée du désert et, surtout, l’ancien premier ministre Edouard Balladur qui, plus de vingt ans après, se confie face à une caméra comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

L’argent, nerf de la guerre

Ainsi, sa promesse de ne pas se présenter contre Chirac ? « Ce sont des bobards », balaie-t-il alors qu’une cruelle archive de 1990 extraite de l’émission « 7/7 » animée par Anne Sinclair montre M. Balladur affirmant : « Je ne vois pas comment un homme pourrait se présenter devant les Français en 1993 en leur disant qu’il ne sera pas candidat dans deux ans, et l’être. Ce serait manquer à sa parole. Et, s’il l’était, on lui en tiendrait rigueur, et ce serait normal et justifié. Il ne faut pas abuser du ­cynisme en politique. Il faut aussi de temps à autre tenir ses enga­gements et être un homme de ­vérité. » Des propos qui, aujour­d’hui, avec l’affaire Fillon, prennent une étonnante résonance…

Tout au long du documentaire, les nombreux hommes politiques et journalistes racontent les coups bas, les intoxications, les rumeurs et la haine qui s’étaient développés entre les deux clans faisant semblant d’être encore amis devant les caméras. « Je ne leur pardonnerai jamais », avait affirmé Jacques Chirac à Roselyne Bachelot en voyant fuir dans le camp d’en face ses plus proches amis comme Nicolas Sarkozy ou Charles Pasqua.

« Petites anomalies » dans les comptes de campagne

Restait l’argent, nerf de la guerre. Ne bénéficiant pas des largesses financières de l’appareil du parti gaulliste, issues en grande partie des commissions sur les marchés truqués d’Ile-de-France comme le montrera la justice, Edouard Balladur dut se résoudre à un financement occulte pris sur les rétrocommissions des ventes d’armes au Pakistan et à l’Arabie saoudite mises au point par François Léotard, alors ministre de la défense. Un scandale mis au jour quelques années plus tard par l’enquête sur l’attentat de ­Karachi, le 8 mai 2002, qui provoqua la mort de quatorze personnes dont onze employés français de la Direction des constructions ­navales (DCN). Beaucoup y ont vu la main des services secrets pakistanais à la suite de l’arrêt du versement des rétrocommissions décidé par le nouveau président de la République, Jacques Chirac. Plus de vingt ans après les faits, la justice ne s’est toujours pas prononcée. « Je n’ai rien à me reprocher », tranche Edouard Balladur qui, à l’époque, expliquait que l’argent liquide versé sur son compte de campagne provenait de la vente de tee-shirts dans ses meetings…

Malgré sa nette victoire sur Lionel Jospin avec 52 % des suffrages, Chirac a échappé de peu à l’invalidation de son élection. Dans son témoignage, Roland Dumas, ex-président du Conseil constitutionnel, confirme que les comptes de campagne de l’ancien maire de ­Paris ainsi que ceux d’Edouard Balladur n’auraient pas dû être validés, car « il y avait quelques petites ­anomalies »… Mais, dit-il, il fallait conser­ver le prestige de la France à l’étranger. « Si c’était à refaire, je le referais », conclut Edouard ­Balladur, droit dans ses bottes.

Balladur - Chirac, mensonges et trahisons, de Jean-Charles Deniau (Fr., 2017, 60 min).