François Hollande, qui avait lié sa candidature à la présidence de la République en 2017 à l’inversion de la courbe du chômage, en a eu des sueurs froides pendant presque cinq ans.

Il faut dire que les chiffres sur l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi tombent comme un couperet, implacables, tous les mois entre le 24 et le 26. Donnant un aperçu sans fard de la situation de la France en la matière.

Et même si la variation relève parfois de la marge d’erreur statistique, c’est avec cet indicateur en tête que les politiques définissent l’action publique, que les gouvernements se réjouissent ou sont critiqués. Qu’un bilan est apprécié.

Préoccupation principale des Français

Pourtant, la hausse ou la baisse du nombre de demandeurs d’emploi ne disent rien de la situation d’Alan, Marie, Nour, Virginie, Félicie ou encore Ali ou Jean-Pierre, des Français confrontés au quotidien au chômage, au décrochage scolaire, à la pauvreté, à la crise…

Ils ne disent rien non plus de la disparité des situations selon qu’on a la chance d’être né ou d’habiter à Annecy, aux portes de la Suisse, et de son florissant marché du travail, à Nantes où la diversité du tissu économique assure une certaine prospérité. Ou la malchance d’être né ou d’habiter à Douai (Nord), cité ouvrière frappée par la désindustrialisation, ou encore entre Agde et Pézenas (Hérault), où le taux de chômage bat des records absolus depuis plusieurs années.

Préoccupation principale des Français à chaque enquête d’opinion, le chômage est aussi l’une de leurs plus grandes peurs. Et ce, alors même que pour une personne en contrat à durée indéterminée (CDI) la probabilité de s’y retrouver l’année d’après n’est que de… 2 %.

Pour eux, les ravages de la crise sont plus concrets que de simples statistiques. Ils ont vu la situation du pays se détériorer depuis 2008, année où la crise des subprimes, ces prêts immobiliers à haut risque, a frappé de plein fouet l’Europe. Cette année-là, au premier trimestre, l’Hexagone affichait encore un taux de chômage à 6,8 % de la population active.

« Un choc macroéconomique »

Un chiffre qui ferait rêver n’importe quel candidat à la présidence de la République, et qui n’a cessé de grimper pour atteindre 10,2 % au troisième trimestre de 2015.

Certes, 2016 a finalement été l’année de l’inflexion, et du retour à une baisse lente mais constante qui permet au pays de présenter un taux de chômage de 9,7 % au quatrième trimestre. Mais il demeure supérieur à la moyenne qui fait le quotidien des citoyens de l’Union européenne (UE), où le nombre de demandeurs d’emploi s’établit plutôt autour des 8 %. Dans ce contexte, le Fonds monétaire international (FMI) et, de manière générale, les experts de tout bord n’hésitent plus à parler d’un chômage de masse.

« La crise est un choc macroéconomique qui a frappé tous les Français, mais avec des disparités évidentes. Certains en souffrent beaucoup plus que d’autres », remarque Yannick L’Horty, économiste à l’université Paris-Est-Val-de-Marne.

Plus généralement, « en matière d’emploi et de chômage, les disparités territoriales françaises sont plus fortes que dans les pays voisins », écrit l’Observatoire des territoires dans une note publiée en décembre 2016.

Spécialisation des bassins d’emplois

L’organisme en veut pour preuve le fait qu’il existait, en 2015, un écart de 24,8 points de pourcentage entre le taux d’emploi régional le plus élevé et le plus faible en France métropolitaine. Contre 11,7 au Royaume-Uni, 9 en Allemagne ou encore 10,8 en Espagne. Le taux de chômage, lui, varie de presque 12 points entre Houdan (Yvelines), commune la plus privilégiée avec ses 4,7 %, et Agde ou Pézenas, qui culminent à 17,7 %.

Une situation due à une certaine spécialisation des bassins d’emplois français dans un contexte de mutation économique et de désindustrialisation de l’Hexagone.

Comme l’explique Yannick L’Horty, « c’est la composition initiale en matière de secteur d’activité qui détermine la résistance ou pas d’une zone d’emploi ». Ainsi, ajoute-t-il, ce sont, sans surprise, les territoires les plus industrialisés qui ont le plus souffert de la crise. Et où la destruction d’emplois a été la plus importante.

Comme, par exemple, les zones de Poissy (Yvelines) et du Havre (Seine-Maritime), ou encore de Sochaux (Doubs) où se trouvent des fabricants mais aussi des équipementiers et des sous-traitants automobiles. « Or l’automobile, c’est très cyclique, ça dépend directement de la consommation, et donc de la conjoncture économique », analyse M. L’Horty.

Idem pour les zones historiquement spécialisées dans l’acier ou le textile, comme certains territoires du nord et de l’est de l’Hexagone. L’arc sud reliant Nîmes à Perpignan ploie, quant à lui, sous le poids de son attractivité, trop importante pour que les créations d’emplois suffisent à absorber une population active croissante. D’autant qu’il est lui aussi victime de sa mono-activité, certes florissante, mais circonscrite dans le temps : le tourisme.

Fuite des populations

En revanche, les régions plutôt spécialisées dans les secteurs à forte valeur ajoutée, comme Toulouse avec l’aéronautique, ont, elles, tendance à mieux résister. Celles qui s’en sortent le mieux présentent, comme la région parisienne ou encore la région nantaise, la particularité de disposer d’un tissu économique diversifié, composite, où se mêlent spécialisation à haute valeur ajoutée, emplois du tertiaire, services et emplois publics.

Dans sa note de décembre 2016, l’Observatoire des territoires remarque, par exemple, qu’entre 1975 et 2012, 2,9 millions d’emplois ont été supprimés dans l’industrie, 1,4 million dans l’agriculture et 125 000 dans la construction (ces dernières sont légèrement reparties ces deux dernières années). Au même moment, le secteur tertiaire gagnait 9,4 millions d’emplois.

Au-delà du simple effet de la crise, qui a eu un impact dévastateur sur certains territoires, les chercheurs pointent le fait que « la géographie du chômage est de plus en plus stable », écrit l’Observatoire des territoires. Dès lors, comme l’indique M. L’Horty, ce sont les zones qui étaient déjà en difficulté qui souffrent le plus. « Les dynamiques actuelles des territoires prolongent les disparités du passé, écrit l’Observatoire, les zones où le chômage est élevé sont les mêmes depuis plusieurs décennies. »

Les raisons en sont multiples, mais, parmi elles, une a attiré l’attention des chercheurs : une mono-activité déclinante conduit souvent à la fuite des populations qui le peuvent, parties chercher du travail là où il y en a.

« Métropolisation des emplois »

Les prix de l’immobilier s’écroulent alors le plus souvent, prenant au piège ceux qui n’ont pas les moyens de partir, car se défaire de son logement et en trouver un autre est coûteux. Les populations qui demeurent sont alors moins qualifiées, et les potentiels nouveaux employeurs ont tendance à s’installer ailleurs, dans une zone plus dynamique.

D’autant que ces dernières années ont été marquées par la « métropolisation des emplois »,un phénomène décrit en février par France Stratégie dans une note. « Globalement, jusqu’en 1999, la croissance de l’emploi a profité à toutes les villes, petites et grandes. A partir de cette date, les territoires se différencient de plus en plus. Sur la période 2006-2013, les créations d’emplois se concentrent sur les aires urbaines de plus de 500 000 habitants », écrit l’institut.

En conséquence, 46 % des postes sont aujourd’hui concentrés dans les métropoles et leurs alentours. Or ce sont là principalement des emplois de cadres, qui drainent ensuite, autour d’eux, tout ce dont ces salariés ont besoin en matière de services. Ce qui permet de nouvelles créations d’emplois dans les villes alentour, dépendant économiquement des métropoles.

Parallèlement, les villes moyennes ont vu, ces dernières années, le nombre de créations d’emplois décliner. Un phénomène voué à renforcer encore plus les inégalités entre citoyens et les fractures entre les territoires dans une France où tout le monde n’est pas armé de la même manière face à la crise.

A moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle, l’emploi reste l’une des préoccupations majeures des électeurs. Les témoignages recueillis par nos reporters partout en France donnent un aperçu des visages de l’emploi et du chômage dans l’Hexagone, et des importantes disparités territoriales.

Sarah Belouezzane

 

Journée spéciale sur Lemonde.fr

Alors que l’Insee publie, vendredi 24 mars, les chiffres du chômage de février, nous vous proposons tout au long de la journée sur Lemonde.fr, d’échanger sur ce thème et de partager votre expérience. Des économistes viendront également répondre à vos questions dans le live du Monde.fr.

  • 10 heures : La France fait-elle moins bien que ses voisins européens ? Débat avec Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques.
  • 11 h 30 : Que proposent les candidats pour résoudre le problème du chômage ? Facebook live avec Sarah Belouezzane, journaliste au « Monde ».
  • 14 heures : Comment interpréter l’embellie de l’emploi en France en 2016 ? Débat avec Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis AM.