Philippe Waechter, à Paris, le 24 mars.

Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis AM et chargé de cours à l’ENS de Cachan a répondu à vos questions sur l’embellie de l’emploi en France en 2016.

Eddie : L’économie française est-elle assez libérale ou au contraire trop rigide, ce qui expliquerait un taux de chômage durablement massif ?

Philippe Waechter : Il y a deux types de problématiques : la première est celle de l’acceptation du type d’emploi. Doit-on accepter des emplois très peu rémunérés ou pas ? En France, contrairement au Royaume-Uni, le choix a été fait collectivement de préférer avoir un taux de chômage plus élevé avec une allocation et des mesures sociales, plutôt qu’un taux de chômage faible mais avec un salaire de survie pour certains. L’emploi a ainsi une dimension mutualisée que l’on ne retrouve pas en Grande-Bretagne. Le marché britannique est très flexible mais sûrement de façon excessive par rapport à la culture française.

L’autre point est qu’il y a en France des points d’amélioration à mettre en œuvre. C’est la problématique qu’avait soulevée la loi travail de faciliter l’embauche et la débauche en fonction du cycle économique. C’est aussi la question de l’acceptation des plans sociaux où la procédure est certainement pénalisante.

Je ne crois pas à une flexibilité à l’anglo-saxonne dans le cas du marché du travail français

Mais globalement, on observe que la croissance est l’élément clé et que les contraintes s’adaptent à cette croissance sans être pénalisantes. La croissance peut être rapidement riche en emplois. Elle pourrait effectivement l’être davantage, mais je ne crois pas à une flexibilité à l’anglo-saxonne dans le cas du marché du travail français. On peut réduire les contraintes et c’est sûrement souhaitable mais pas changer dramatiquement le modèle.

Sou : Ne pensez-vous pas que l’embellie est éphémère et qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail par rapport à la population active ?

Philippe Waechter : Il y a deux défis pour l’économie française. La première est celle de la localisation de l’activité économique. Pendant très longtemps, l’Europe et les Etats-Unis ont été au centre de la croissance économique mondiale. Cette situation était génératrice de revenus et d’emplois. Mais l’activité globale est maintenant orientée par ce qui se passe en Asie et en Chine en particulier. A nous de trouver les incitations pour rendre l’activité plus attractive en Europe.

Le deuxième aspect est que l’économie connaît une mutation brutale avec la digitalisation. Les emplois, au moins certains d’entre eux, sont devenus à risque. Là aussi, l’enjeu est pour nous, Européens, très important : créer les conditions pour faire écho sur l’emploi de nos capacités à innover.

En d’autres termes, la situation est complexe, car l’économie globale change de modèle, mais imaginer une fin déterministe comme vous le faites est excessif. A nous d’être inventif mais aussi d’accompagner les changements technologiques et de faciliter la création de nouveaux types d’emplois. Dans toutes les révolutions technologiques, des tas d’emplois nouveaux sont créés. A nous de faciliter ces créations qui seront génératrices d’une dynamique productive par la suite.

Yann Artus : Connait-on l’impact du CICE et du pacte de responsabilité mis en place par le gouvernement de Hollande sur l’embellie observée en 2016 ?

Philippe Waechter : Le CICE a permis l’amélioration des marges des entreprises. En 2008, l’ajustement macroéconomique avait porté sur les entreprises avec une dégradation brutale du taux de marge. L’objectif du CICE était de redonner des capacités aux entreprises.

Au début, dans une conjoncture médiocre, les entreprises ne savaient pas très bien quoi en faire. Depuis la conjoncture s’est améliorée et les marges de manœuvre résultant du CICE sont utilisées par les entreprises. En d’autres termes, lors de la mise en œuvre du CICE l’horizon était bouché et l’utilité immédiate du mécanisme n’est pas apparue clairement. Avec une conjoncture plus porteuse, les entreprises ont un horizon plus dégagé et le CICE leur permet une amélioration de leur marge et leur donne une capacité plus grande pour investir et embaucher. Le mécanisme commence à porter ses fruits.

Clarmac : Je ne comprends pas le gouffre entre les demandeurs d’emploi et les employeurs. Pourquoi est-ce si compliqué que des entreprises qui cherchent à recruter et que demandeurs d’emploi se rencontrent ?

Philippe Waechter : Il y a deux aspects dans votre question. Il y a celui de l’appariement des offres et des demandes d’emplois. Il faut trouver celui qui aura les qualifications souhaitées. C’est une opération complexe et coûteuse, en argent et en temps, surtout si le choix n’est pas le bon.

Cet appariement est aussi une question de flux d’informations. Il faut faciliter la rencontre des deux spécificités : celle de celui qui cherche un emploi et celui qui en offre un. La mise en place des opérateurs qui travaillent via internet a simplifié cette mise en contact.

Souvent, néanmoins, il y a un écart fort entre les emplois souhaités par les entreprises et les qualifications de ceux qui recherchent un emploi. D’où l’effort à faire toujours et en continu sur la formation pour rapprocher les deux points de vue.

PF8566 : Le chômage touche avant tout les moins qualifiés. En cas de fermeture d’une entreprise, le risque d’un chômage de longue durée les concerne très fortement. Les fonds de formation professionnelle ne pourraient-ils pas être mieux utilisés ?

Philippe Waechter : La question majeure est celle de la qualification. On observe en France que le chômage concerne principalement les gens non ou peu qualifiés. C’est vers eux que l’effort doit être porté.

En France, chacun est trop dépendant de sa formation de départ

D’une manière générale, la France a deux difficultés. La première est celle de la qualification et de la formation des gens au chômage. De ce point de vue, il y a un effort considérable à faire. Cet aspect est important pour limiter la durée du chômage. La statistique des chômeurs de longue durée est la plus insupportable car elle traduit une incapacité collective à faire face à ce besoin. C’est en outre une source d’incertitude forte. Si vous sortez du marché du travail et que la formation qui vous est proposée est insuffisante vous aurez beaucoup de mal à retrouver un job. C’est cette incertitude qui n’était pas prise en compte dans la loi El Khomri. La flexibilité du côté des entreprises n’avait pas son pendant dans la sécurité du parcours professionnel du salarié.

C’est là le deuxième aspect. Quand on regarde la Suède, elle prend en charge les chômeurs pour les former afin de pouvoir répondre aux emplois de demain. En d’autres termes, la structure du cycle change, les emplois changent et la formation doit permettre d’adapter les salariés. C’est pour cela que la formation est indispensable. Ce volet est à mon sens le point le plus faible du marché du travail français. Chacun est trop dépendant de sa formation de départ. Il y a un déterminisme insupportable qui ne permet pas de changer de vie en cours de route.

Cha : Les mesures de réduction du temps de travail, ont-elles un impact sur le chômage ?

L’Allemagne a un temps de travail plus faible qu’en France

Philippe Waechter : C’est une question que tout le monde a en tête. Le temps de travail baisse partout. C’est l’utilisation d’une partie des gains de productivité. C’est vrai pour tous les pays. L’Allemagne a ainsi un temps de travail plus faible qu’en France (si on prend en compte les temps pleins et les temps partiels).

Donc la vraie question est celle de la capacité des économies à engendrer des gains de productivité pour créer des opportunités. Les gains de productivité se partagent en emplois ou en baisse du temps de travail ou en revenus supplémentaires (du salarié ou de l’entreprise) ou les trois en même temps. La difficulté, parfois, est de vouloir partager des gains de productivité qui n’existent pas ou qui sont très faibles. C’est un peu la problématique du moment. La productivité évolue très lentement et l’on pense que cela doit permettre de partager le travail pour réduire le chômage.

On prend le problème à l’envers. Faisons le nécessaire pour augmenter les gains de productivité et alors la baisse du temps de travail sera automatique. Baisser le temps de travail en espérant que cela créera des incitations à investir pour générer de la productivité me parait hasardeux. On pourrait dans ce cas avoir une substitution vers du capital au détriment du travail puisque l’on parle tous aujourd’hui de digitalisation et de robots.

Jan : Considérez-vous qu’une relance par la demande comme le propose Benoît Hamon avec son revenu universel puisse avoir un impact significatif sur le chômage dans des économies de plus en plus ouvertes ?

Philippe Waechter : La question du revenu universel pose nécessairement la question des incitations à l’emploi. On dispose de peu d’expérience sur ce point. Néanmoins une telle expérience avait été menée aux Etats-Unis dans les années 1970. L’existence d’un revenu universel s’était traduite par une baisse des heures travaillées. Donc il faut réfléchir à cette question d’incitation à travailler. Sur la dimension de relance, il faut voir le caractère universel du revenu. Dans la dernière mouture de Benoît Hamon, il n’a plus le caractère universel de la première version. Cette ampleur limitée permettra aux revenus réduits d’avoir une capacité supplémentaire de dépenses. De ce point de vue, c’est intéressant.

La question est celle malgré tout du financement. Ceux ne bénéficiant pas de ce revenu auront-ils envie de le financer ? C’est aussi une des questions qu’il faut se poser. La mesure proposée est une extension des dispositifs existants, en un peu plus rapide. Elle est acceptée collectivement et c’est très bien. Peut-on aller au-delà ? Voilà la question.