Le 24 mars, François Fillon est à Anglet pour une table ronde sur l'industrie du tourisme en présence du maire Claude Olive. | LAURENCE GEAI POUR LE MONDE

Un candidat avec le regard dans le vide, des « On va gagner » scandés sans aucun entrain lors de son meeting, des élus désabusés… Ce sont parfois à de petits signaux, que l’on mesure à quel point une campagne électorale bat de l’aile. A quelques semaines du premier tour de la présidentielle, François Fillon ressemble à un candidat en perdition, qui tente – sans succès – de se sortir des affaires dans lequel il est englué depuis près de deux mois. Deux mois à défendre son honneur, qui l’ont rendu inaudible sur le fond.

Mis en examen, notamment pour détournement de fonds publics, le candidat de la droite s’est lancé dans une stratégie du sauve-qui-peut dans laquelle tous les coups semblent permis. Vendredi 24 mars, il a réitéré ses allégations contre François Hollande, présenté comme le chef d’une « machination » destiné à l’abattre. « La seule façon de sauver la gauche c’est de tuer Fillon », a-t-il déclaré lors d’un meeting à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), en se disant la cible de « manigances politiques ». Un refrain complotiste désormais largement éprouvé, afin de remobiliser le socle de ses électeurs.

Le ton était toutefois nettement moins violent que la veille. Jeudi soir, sur France 2, M. Fillon avait directement mis en cause le chef de l’Etat, en l’accusant d’être à la tête d’un « cabinet noir » à l’origine des fuites dans la presse sur ses affaires judiciaires. Une charge lourde, qui s’appuie sur le contenu du livre Bienvenue Place Beauvau, Police : les secrets inavouables d’un quinquennat (Robert Laffont, 264 p., 19,50 euros). A entendre le député de Paris sur le plateau de « L’Emission politique », il n’y avait aucun doute dans son esprit : les révélations de l’ouvrage étaient accablantes pour M. Hollande et constituaient un « scandale d’Etat ». Sauf que le lendemain, il a lui-même reconnu ne pas savoir si les informations contenues dans ce livre sont fondées ou non : « Je ne sais pas si c’est vrai ! », a-t-il déclaré au site de Ouest France, de manière surprenante.

Image d’homme d’Etat hermétique à toute démagogie

Peu importe que les accusations soient justifiées, tant que l’offensive atteint son but électoral : dissuader les électeurs de droite de le lâcher. Un filloniste du premier cercle admet le caractère purement tactique et opportuniste de ces attaques : « François Fillon devait réaliser un coup pour réagir à un contexte politique difficile pour lui. Il a donc saisi la balle au bond en se servant de ce qu’il avait lu. Il fait comme il peut avec ce qu’il peut… » Aux abois, l’ex-premier ministre a donc décidé de se battre avec toutes les armes à sa disposition pour enrayer sa descente aux enfers. Quitte à brouiller profondément son image d’homme d’Etat hermétique à toute démagogie et surenchère.

« Avec son intervention sur France 2, il a galvanisé sa base », veut croire son entourage. Sauf qu’en radicalisant un peu plus son discours – de plus en plus semblable à celui de Donald Trump – il prend le risque de rétrécir un peu plus son socle électoral. Une évolution perceptible dans les sondages, où l’ancien favori de la présidentielle ne cesse de perdre du terrain. Largement distancé par Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il n’est plus crédité que de 17 % des intentions de vote au premier tour. Il paie l’accumulation des affaires le concernant – en particulier celle de ses costumes, dévastatrice dans l’opinion – en enregistrant une baisse de 2,5 points en une semaine, selon un sondage BVA-Salesforce pour la presse régionale, publié samedi.

Les autres signaux négatifs ne manquent pas. Vendredi soir, M. Fillon a expédié son discours en moins de trente minutes, renvoyant l’image d’un candidat à bout de souffle. L’assistance était à son image : les quelque 2 000 personnes présentes à son meeting n’ont dégagé aucune ferveur, donnant l’impression de ne plus vraiment croire à la victoire, tant le manque de dynamisme était criant.

Doute jusque dans la garde rapprochée

Dans ce contexte morose, l’ambiance est délétère au sein de son camp. Au QG du candidat à Paris, son équipe reçoit des dizaines d’appel d’insultes chaque jour. « On nous traite de voleurs ou on nous dit rendez l’argent ! », se désole un salarié. La démobilisation des troupes est également frappante : la plupart des élus Les Républicains – en particulier les juppéistes et les lemairistes – ne participent déjà plus à une campagne, par laquelle ils ne se sentent plus concernés.

Lors du meeting à Biarritz, aucun élu de poids n’était présent aux côtés de M. Fillon à part le député de Haute-Savoie, Lionel Tardy. Symbole des profondes divisions internes : la juppéiste Virginie Calmels – perçue comme une traître par une partie des militants fillonistes – a été sifflée lors de son discours à la tribune, avant le discours de l’ancien premier ministre.

Chez les ténors, la plupart sont déjà résignés, estimant les chances de l’emporter quasi nulles. « La situation est grave. Fillon n’a que 20 % de chances de se qualifier pour le second tour », juge un de ses fidèles, en faisant état du « doute » qui s’est installé jusque dans sa garde rapprochée. Lucides, beaucoup ont intégré que la droite est passée d’une élection théoriquement imperdable à un scrutin apparaissant désormais… ingagnable.