Jean Aussanaire à la clarinette et le Workshop de Lyon, le 22 mars à l’Espace Charlie-Chaplin de Vaulx-en-Velin. | D.R.

Samedi 25 mars, à Vaulx-en-Velin (Rhône), deux phénomènes particulièrement guettés depuis vingt ans, Napoleon Maddox et Anthony Joseph, clôturent la 30e édition du festival A Vaulx Jazz. Napoleon Maddox et Anthony Joseph sont deux fabuleux singuliers de la planète qui n’aurait pu avoir lieu sans le « jazz ».

Natif de Cincinnati (Ohio), Napoleon Maddox est le rappeur, beatboxeur hip-hop, funk, soul, électro, que l’on sait. Souvent associé à des déménageurs hexagonaux (Sorg, La Canaille…), il présente à Vaulx sa dernière performance. « Twice the first time », met en scène l’histoire de ses arrière-grands-tantes, Millie et Christine, fameuses sœurs siamoises (ce qui, on ne saurait trop dire pourquoi, vous a quelque air prédestiné au rap).

Esclaves de naissance bientôt émancipées, Millie et Christine ont un destin que Napoleon Maddox saisit en rap, poésie, machines (DJ Menas), free jazz (Ricardo Izquierdo), etc. Ne jamais oublier que Cincinnati a vu naître Frank Foster, George Russell ou Mamie Smith. Les villes d’Amérique sont des mémoires, des sons, un accent singulier.

Affirmation et programme

Anthony Joseph (et son Caribbean Roots, avec le Guadeloupéen Roger Raspail) est un Londonien de Trinidad particulièrement attendu. Poète comme Napoleon Maddox. On insiste : la poésie n’est plus dans l’affrontement des chichiteries trouées de lignes blanche, contre un lyrisme dont Brassens eût été le Mallarmé. Non. La poésie, à l’heure de la mort de Derek Walcott, est à trouver chez Napoleon Maddox ou Anthony Joseph. Soul, dadaïsme, Fela revisité et autres afro-beats, tels sont les « Last Poets » d’aujourd’hui : les Last Poets, groupe mythique (percussions et voix) millésimé 1970 dont se recommandent tous les rappeurs actuels. Leur présence à Vaulx-en-Velin a valeur de symbole, d’affirmation et de programme.

Vaulx-en-Velin est une ville historique de l’Est lyonnais. Un peu plus de 50 000 habitants, une architecture très intéressante, grand passé ouvrier, municipalité communiste de 1929 à 2014, PS depuis. En trente ans, Vaulx-en-Velin a édifié un festival de jazz et de musiques actuelles d’autant plus notable que la grosse métropole voisine, Lyon, riche en événements ponctuels, n’a jamais su rivaliser sur la forme. Question d’ambition et de politique culturelles. Unique en son genre, A Vaulx Jazz ne saurait céder la place à quelque pimpante animation « culturelle ».

« Blues from Chicago to Orlando » (24 mars), « Future Sax », avec Steve Coleman Reflex, et « Shabaka », dont le concert est diffusé samedi 25 mars (22 h 30) sur France Musique par le « Jazz Club » d’Yvon Amar, toutes les soirées répondent à leurs titres ingénieux. Exemple : « Jazz Front », mercredi 22 mars, au Centre Charlie-Chaplin, à laquelle nous assistons.

Vedette israélienne, Avishai Cohen, le contrebassiste homonyme du grand trompettiste, avec oud (Elyasaf Bihari), percussion et violoncelle (Yael Shapira). Perfection, format world music qui voudrait se faire passer, c’est un peu gros, pour ce qu’elle regarde avec condescendance (le free, l’aventure, le risque), voir Chick Corea aujourd’hui, Stanley Clarke et tous les champions « bankable ». Indispensable au standing d’un festival, pas à son niveau.

« Quenelle et rosette »

Vedette « quenelle et rosette », l’inoxydable Workshop de Lyon (maison fondée en 1967). Imposant invité, Jean-Luc Cappozzo (trompette). Des fondateurs et des tribulations de leurs débuts (musique de scène de Massacre à Paris, de Patrice Chéreau), subsistent Christian Rollet et son invraisemblable style de diable rieur en batterie-fanfare-free, plus Jean Bolcato, le contrebassiste qui aura, au fil du temps, approfondi sa sonorité et sa mise en place, tout en perfectionnant certaine ressemblance avec Hô Chi Minh, le sourire en plus.

Leur parcours, on l’a parcouru avec eux. Ils célèbrent les 40 ans de l’Arfi (Association à la recherche d’un folklore imaginaire), fédération de groupes et associations artistiques de tous formats. Ils n’ont cédé ni sur l’amitié, ni sur les principes, ni sur la foi dans la musique. En cours de route, ils ont perdu Maurice Merle (sax), vu grandir Louis Sclavis (clarinettes), suivi Jean Mereu (trompette)… Mais en scène, avec leurs duos d’anches, Jean Aussanaire et Jean-Paul Autin, ils n’ont rien oublié.

Ils sont là. Avec leurs chansons impeccablement découpées, y compris pour le délire. Au début des années 1970, dans toutes les villes de France, Annecy, Toulouse, Bordeaux, ils étaient mille Vietnam, eux ont tenu bon. Sans rien changer de leur lexique (les joies) et de leur syntaxe (le collectif). Pièce à conviction ? Un coffret de leurs premiers albums (vinyles) réunis en 6 CD, avec livret et papier cadeau (Bisou Records).

Napoleon Maddox, Anthony Joseph, samedi 25 mars, 24 €.