Des membres du groupe des 500 frères, à Cayenne, le 25 mars. | JODY AMIET / AFP

Editorial du « Monde ». C’est devenu un rituel. A chaque élection, les candidats à la présidentielle font la tournée de l’outre-mer, cette France sur laquelle le soleil ne se couche jamais. Pour vanter un pays qui est une puissance stratégique et dispose ainsi du deuxième domaine maritime mondial. Pour renforcer des liens avec la métropole, qui remontent au XVIIe siècle et sont tissés de rapports complexes, mélange d’attachement viscéral et de souffrance, sur fond de mémoire de l’esclavage.

Parfois, la dure réalité se rappelle au souvenir de chacun. C’est ce qui se passe en Guyane, bloquée depuis ce lundi 27 mars par une grève générale. Supermarchés pris d’assaut, desserte aérienne suspendue, report du lancement de la fusée Ariane : le département, vaste comme la Nouvelle-Aquitaine, la plus grande région métropolitaine, est paralysé.

Le déclenchement de cette crise est dû notamment à l’envolée spectaculaire de la violence. Une cinquantaine d’homicides ont été recensés depuis un an, un taux par habitant quinze fois supérieur à celui de la métropole. Cette dégradation a conduit à l’émergence d’un mystérieux groupe masqué, Les 500 frères. Ces trentenaires bodybuildés, qui seraient une centaine, se disent non violents et ne sont pas armés. Ils ont toutefois tous les attributs d’une milice.

Ce n’est, hélas !, qu’un aspect des difficultés immenses que rencontre la Guyane. Le département connaît une explosion démographique, avec une population passée en un quart de siècle de 110 000 à 250 000 habitants, sur fond d’immigration en provenance du Brésil et du Suriname voisins, mais aussi de Haïti depuis le tremblement de terre de 2010 et du Brésil, sur fond aussi de crise économique dans ce pays.

Besoin d’investissements

L’intendance économique et sociale ne suit pas. La Croix-Rouge se désengage de l’hôpital de Kourou, ce qui suscite une vaste émotion. Enfin, en dépit de progrès, le centre spatial est trop coupé de la vie locale et n’acquitte pas l’octroi de mer, qui permettrait de mieux financer la vie locale. La Guyane voit ses ressources maritimes ou aurifères pillées ou mal exploitées. Elle a besoin de doubler un pont à Cayenne, de bâtir une voie rapide, bref d’investissements et d’un avenir économique. C’est là que se ­retrouve la malédiction de l’outre-mer : le gouvernement a fait voter une loi sur l’égalité réelle pour cette France lointaine. Mais le plaquage des règles métropolitaines en outre-mer, s’il est légitime dans une République unie, a des effets pervers. Il empêche ces départements de s’inscrire dans l’économie régionale et de générer une croissance endogène et donc vertueuse.

Le gouvernement le sait, qui a dépêché, trop tard, un groupe d’experts de haut niveau pour élaborer « une feuille de route, qui permette d’avoir une photographie et une identification des demandes », confie la ministre de l’outre-mer, Ericka Bareigts. Les Guyanais exigent la présence d’un ministre, mais Mme Bareigts refuse pour l’instant de traverser l’Atlantique. Elle veut que soient établies préalablement les conditions d’un « dialogue serein et constructif ». Le précédent d’Yves Jégo, bloqué une dizaine de jours en Guadeloupe dans une impossible négociation en 2009, incite à la prudence. L’attitude des 500 frères, qui ont signifié, masqués, leur refus de dialogue, n’est pas acceptable. En République, on négocie à visage découvert. Il faut tomber les masques et se mettre autour de la table. Pour éviter toute émeute et « pour que la Guyane décolle », comme le demandent les Guyanais.