Barrage de camions, à Cayenne, le 26 mars 2017. | JODY AMIET / AFP

« Nous ne voulons pas négocier avec vous, nous voulons des ministres ! » Au huitième jour des mouvements sociaux en Guyane, les collectifs et la plupart des élus locaux refusent de négocier avec les hauts fonctionnaires envoyés sur place. Cagoulés et vêtus de noir, les membres du collectif des « 500 frères contre la délinquance » l’ont dit haut et fort dimanche 26 mars à Cayenne, aux membres de la mission interministérielle arrivée samedi en Guyane.

Ce collectif d’une centaine de membres à l’allure impressionnante mais sans arme, qui se veut non violent, mène toujours la fronde contre l’insécurité record qui touche cette collectivité territoriale peuplée officiellement de 252 000 habitants, aux côtés d’autres collectifs, de syndicats et d’organisations professionnelles porteuses de revendications sur la santé, l’éducation, l’énergie et le développement local.

Depuis une semaine, une vingtaine de barrages bloquent les principaux axes routiers et le port de commerce. Les établissements scolaires et la plupart des administrations sont fermés depuis jeudi, les stations-service à sec ou au bord de la pénurie, et les vols moyens ou long-courriers ont été annulés à l’aéroport lundi 27 mars, pour des raisons de sécurité.

Alors que l’Union des travailleurs guyanais, le syndicat majoritaire, lance un appel à la grève générale lundi, le gouvernement a choisi de ne pas envoyer de ministres sur place, mais une délégation interministérielle composée de sept hauts fonctionnaires, menée par Jean-François Cordet, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien préfet de Guyane de 1992 à 1995.

« La voix de la Guyane pas entendue »

« Cela fait six jours qu’on réclame la venue de ministres de très haut niveau pour entamer les discussions, explique au Monde Antoine Karam, sénateur de la Guyane depuis 2014 – membre du groupe socialiste – et président de l’ex-conseil régional de 1992 à 2010. On a de plus en plus le sentiment que le gouvernement n’entend pas la voix de la Guyane, alors que les médias nationaux et internationaux font passer l’info à tous les niveaux. »

« Il y a une partie du collectif [des mouvements sociaux] qui n’a pas envie de rencontrer la délégation, mais ce n’est pas vrai pour tout le monde : il y en a beaucoup qui ne discutent pas parce qu’ils se sentent menacés, intimidés, et du coup ceux qui acceptent de discuter le font discrètement, indique-t-on au cabinet de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts. Cette délégation interministérielle est décisionnelle, elle a le pouvoir de faire des propositions, qui seront ensuite reprises à Matignon pour être transformées en décisions. »

Dans ce cadre, « la ministre sera plus utile à Paris, indique l’entourage d’Ericka Bareigts, quitte après à ce qu’elle vienne en Guyane pour exposer à la population le plan d’urgence qui aura été coconstruit ».

Dimanche soir, après un contact avec le premier ministre, Rodolphe Alexandre, le président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), espérait voir l’arrivée rapide d’un ministre pour débloquer la situation : « Bernard Cazeneuve est favorable à l’arrivée en Guyane d’un ministre afin de lancer le débat sur les solutions attendues par les Guyanais. Nous aurons un entretien à nouveau lundi avec Matignon », a déclaré le président de la CTG à la radio Guyane 1re.

« On en a assez »

Sur les banderoles accrochées aux camions des transporteurs au niveau des barrages, le slogan le plus courant est « Nou gon ké sa » (« on en a assez » en créole guyanais). « On est tous concernés, quelles que soient les communautés », explique Evelyne, une fonctionnaire métropolitaine arrivée il y a trois ans en Guyane, venue discuter sur un barrage à Cayenne. « L’insécurité touche tout le monde », précise cette mère de famille. Sur les barrages, des animations musicales avec des artistes locaux en vue, des prises de paroles, des débats et des repas avec grillades ponctuent les journées et les soirées. « On communie, on échange avec des gens qu’on ne connaissait même pas, on expérimente le vivre ensemble », se réjouit Edmond, militant d’une association dans le domaine de la santé, sur Guyane 1re.

Erigés d’abord à Kourou lundi 20 mars, les barrages se sont ensuite étendus à l’agglomération de Cayenne, à Saint-Laurent, dans l’ouest, puis dans les communes isolées dans l’intérieur des terres, à Maripasoula et Papaichton. Sur un territoire grand comme trois fois la Bretagne – accessible seulement par pirogue ou avion dans l’intérieur – les revendications sont en partie spécifiques, mais elles renvoient toutes à l’insécurité, aux carences en matière de santé, d’éducation et de développement.

Ainsi, le collectif des habitants de Maripasoula, une commune isolée du sud guyanais, passée en vingt ans de quatre mille à onze mille habitants, réclame « la fin de l’enclavement par le développement du transport aérien, fluvial et terrestre, la protection de l’environnement avec une lutte effective contre l’orpaillage clandestin », ou encore « le développement économique par un contrôle guyanais des ressources minières et le soutien aux agriculteurs et entrepreneurs du fleuve ». Les collectifs et les syndicats s’organisent pour élaborer une plate-forme commune de revendications, pas encore rendue publique dimanche soir.

« Les chiffres donnent le tournis »

« Depuis 2012, je n’ai cessé d’alerter sur la santé, sur l’économie, sur l’éducation, et je n’ai pas été entendu, déplore le député et maire de Matoury, Gabriel Serville. A Paris, ils ont du mal à comprendre notre réalité. » Les chiffres en disent long sur les défis à relever : 15 000 familles sont sur liste d’attente pour les logements sociaux, malgré une augmentation conséquente du fonds de soutien au logement social. Dans ce contexte, les bidonvilles se multiplient. Près de 40 % des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme au-delà du brevet des collèges, et près d’un jeune sur deux de moins de 25 ans est au chômage.

Les collectivités locales sont prises dans l’étau de recettes fiscales limitées et d’une croissance démographique de près de 3 % par an en moyenne, avec la nécessité pour la CTG de construire huit lycées et dix collèges ces dix prochaines années. « Les chiffres donnent le tournis. On aura les postes d’enseignants mais pas les murs », s’était inquiété fin 2014 le recteur de l’époque, Philippe Lacombe. Le 17 mars, le gouvernement a promis 60 millions d’euros sur ce chapitre – sur les 500 millions d’euros à financer sur dix ans – dans le cadre du pacte d’avenir, un plan d’investissement sur dix ans promis fin 2013 par François Hollande, toujours pas signé.

La Guyane doit également faire face à une importante vague d’immigration venue surtout de Haïti, à la suite du séisme de 2010. Plus de douze mille dossiers de demandes d’asile ont été déposés ces quatre dernières années en Guyane, dont près de 8 000 en 2016.

Face à ces défis, la délégation interministérielle a annoncé des premières mesures, dont le maintien jusqu’en septembre d’un escadron de gendarmes mobiles envoyé en renfort à Cayenne, 60 millions d’euros pour l’hôpital de Cayenne, dont 40 millions en investissements, et une avance de trésorerie à la CTG de 4,5 millions d’euros pour payer les transporteurs. « Le reste doit faire l’objet de négociations », a assuré le responsable de la mission interministérielle Jean-François Cordet dimanche soir devant la presse. Encore faut-il que les discussions soient lancées.