Depuis cinq jours, ils « tiennent » le rond-point Adélaïde-Tablond, à Rémire-Montjoly, dans la périphérie de Cayenne. Des poids lourds et des voitures bloquent ou filtrent la circulation, en fonction des heures et des jours. Un conteneur déposé sur le rond-point sert de hangar à rangement pour la nourriture et le matériel. Des tentes abritent les repas. Les discussions et les prises de parole de militants se déroulent à côté d’un drapeau guyanais – vert, jaune et une étoile rouge au milieu.

Assise à une table où elle joue aux dominos avec des chauffeurs en grève, Angèle, une habitante de Rémire-Montjoly, est là depuis le premier jour. « Aujourd’hui, on est fiers d’être guyanais, très fiers même, dit-elle d’une voix cassée mais posée. Malgré tout ce que les médias de l’Hexagone disent, on reste soudés derrière les cinq cents frères », ajoute-t-elle.

Cagoulés, vêtus de noirs, sans arme, les membres du collectif Les 500 frères contre la délinquance sont la tête de proue d’un mouvement de fond qui paralyse l’ensemble du territoire, d’abord au nom de la lutte contre l’insécurité, mais aussi pour la santé, l’éducation, le développement et l’énergie.

« La Guyane s’est réveillée »

Le collectif s’est constitué après la mort d’un habitant d’un quartier populaire de Cayenne, tué par arme à feu en résistant à un voleur qui lui dérobait sa chaîne en or. « Ce gars-là, c’était mon ami, on a fait l’armée ensemble, dit Adrien, un chauffeur de poids lourd de 28 ans, assis à la table des dominos. Quand j’ai su qu’il était mort, ça m’a fait un choc. » En 2016, il y a eu quarante-deux homicides en Guyane, dont deux anciens élus locaux abattus chez eux lors de tentatives de cambriolage à main armée.

« La Guyane s’est réveillée, tout le monde est là sur les barrages : les créoles, les métros, toutes les nationalités… rassemblées pour un seul combat, celui des cinq cents frères », explique Adrien. « Toute la Guyane est mobilisée, il y a même des barrages à Camopi et à Maripasoula [dans l’intérieur du territoire], c’est impressionnant », poursuit le camionneur.

D’origine brésilienne, Arlette est venue de Cayenne, où elle habite, pour « soutenir » les personnes sur le barrage. « La violence est partout : j’ai été agressée devant chez moi l’année dernière, le voleur m’a mis un pistolet sur la tête, je ne voulais pas donner mon sac, alors il me l’a arraché, je suis tombé par terre, et j’ai laissé mon sac car je ne voulais pas mourir, j’ai trois enfants… », raconte-t-elle.

« On craint d’ouvrir nos maisons, on vit enfermés, ça ne peut plus durer, il faut faire quelque chose », explique Angèle, qui aide comme elle peut les « responsables » du rond-point : « Chaque personne apporte sa pierre à l’édifice, les pêcheurs apportent du poisson, les agriculteurs des légumes, d’autres de l’argent, tout le monde s’aide, on ne manque de rien. »

Des revendications multiples

Lancé à Kourou le 20 mars par le syndicat UTG (Union des travailleurs guyanais) d’EDF et un collectif, relayé ensuite par Les 500 frères contre la délinquance, le mouvement touche presque toutes les communes, sur le littoral comme à l’intérieur du territoire, et fédère de nombreux partis, syndicats, associations et collectifs citoyens constitués pour l’occasion.

La grève générale, lancée par l’UTG lundi 27 mars, a confirmé la tendance observée à la fin de la semaine dernière : établissements scolaires et administrations fermés, port de commerce bloqué, vols locaux, régionaux et internationaux annulés à l’aéroport Félix-Eboué.

Une coordination des collectifs a rendu publique, lundi, une synthèse des revendications encore provisoire :

  • Création d’une cité judiciaire ; mise en place d’un préfet de police ; éradication des squats.
  • Construction de cinq lycées, dix collèges et cinq cents classes de primaire – pour faire face à la croissance démographique.
  • Recrutement de quatre cents intervenants en langues maternelles, des assistants des enseignants du primaire qui permettent de commencer la scolarisation des enfants dans leur langue maternelle, puis de passer au français
  • En matière de santé, ils demandent la transformation du centre médico-chirurgical privé de Kourou en hôpital public, et un soutien exceptionnel pour l’hôpital de Cayenne.
  • Les collectifs proposent aussi une zone franche sociale et fiscale sur dix ans, la construction d’une route pour désenclaver l’intérieur et un réseau téléphonique sur tout le territoire.
  • D’autres revendications concernent l’énergie, l’accès au foncier et la reconnaissance des droits des peuples autochtones.

Les négociations n’ont toujours pas commencé avec la délégation interministérielle de sept hauts fonctionnaires arrivée sur place samedi 25 mars. « Les cinq cents frères ne veulent pas parler avec ce petit groupe qui vient nous raconter des bobards. Nous, on veut les vrais politiques, les vrais ministres, ceux qui prennent les décisions », explique Olivier, un chauffeur de poids lourd sur le barrage de Rémire-Montjoly. « J’ai 44 ans, et en 44 ans, on nous a beaucoup couillonnés », dit-il.

Les organisations à l’origine des mouvements appellent à des marches mardi matin à Cayenne et à Saint-Laurent.