Rassemblement organisé par les syndicats d’enseignants, à Cayenne, lundi 27 mars | JODY AMIET / AFP

Plusieurs ministres se rendront très prochainement en Guyane, mais pas dans n’importe quelles conditions. C’est le message adressé, lundi 27 mars, par Bernard Cazeneuve pour tenter de résoudre les tensions qui ébranlent depuis un peu plus d’une semaine cette collectivité territoriale d’outre-mer.

Le premier ministre a ainsi répondu favorablement à une demande relayée par la plupart des élus locaux et les organisations impliquées dans un mouvement social de grande ampleur. Mais sa promesse ne tiendra que si le calme revient et si le dialogue progresse.

« Une délégation ministérielle sera sur place avant la fin de la semaine » pour conclure les discussions engagées par la mission de hauts fonctionnaires dépêchée samedi, a indiqué M. Cazeneuve au côté de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts. Il faudra au préalable que des garanties soient données pour obtenir le « respect de l’ordre républicain », a-t-il insisté. Il a au passage annoncé qu’« un centre pénitentiaire et un tribunal de grandeinstance [seraient] construits à Saint-Laurent-du-Maroni ».

« On a mis beaucoup d’argent »

Le premier ministre s’en est aussi pris à ceux qui, selon lui, font assaut de « démagogie » et d’« électoralisme », visant implicitement François Fillon et Marine Le Pen. Le candidat de la droite a estimé, lundi, que la situation en Guyane était « le résultat d’une ­absence de politique en matière d’outre-mer depuis cinq ans ». Quant à la présidente du Front national, elle dit vouloir augmenter de 50 % des effectifs des forces de sécurité en Guyane pour lutter contre l’immigration illégale.

Le gouvernement a parfaitement conscience de la gravité des problèmes en Guyane, assure l’exécutif, qui se défend d’avoir « abandonné » la collectivité territoriale. « Depuis 2012, on ne fait que rattraper les retards structurels accumulés, plaide le cabinet de la ministre des outre-mer. ­Entre 2008 et 2012, la commande publique a été sacrifiée. Du fait de l’effet retard, elle a atteint son point bas en 2014, à 200 millions d’euros. En 2017, on devrait être à 900 millions. De même, sur le logement social, on a mis beaucoup d’argent. »

Toutefois, l’action du gouvernement s’est heurtée aux relations complexes entre l’Etat et certains élus locaux de premier plan. Fin 2013, le président de la République, lors d’un déplacement en Guyane, avait promis qu’un pacte d’avenir pour le territoire serait signé. Pour le moment, cette intention est restée lettre morte.

Du temps où il y avait un conseil général et un conseil régional en Guyane, les discussions n’aboutissaient pas du fait de la mésentente entre les « patrons » des deux collectivités, Alain Tien-Liong et ­Rodolphe Alexandre. Le dossier n’a guère avancé depuis la mise en place, en décembre 2015, d’une collectivité territoriale unique, présidée par M. Alexandre. A plusieurs reprises, ce dernier a exprimé son accord aux propositions de l’exécutif puis s’est ravisé après avoir consulté le terrain, en Guyane.

« Action insuffisante »

Si le gouvernement s’est évertué à ne pas rester inactif, de l’autre côté de l’Atlantique, la perception est tout autre. « On a alerté plusieurs fois, on n’a jamais été entendu, déclare David Riché, le président de l’association des maires de Guyane. Nous avons demandé par courrier au gouvernement que des ministres viennent. Ils ne nous ont pas écoutés. Quand il y a juste une inondation dans le Gard, il y a un défilé des ministres. Aujourd’hui, sur un territoire grand comme le Portugal, avec un département bloqué, pas un ministre ne vient, c’est ahurissant ! Ça montre encore une fois les deux poids deux mesures de la République. »

« Ce n’est pas la place de la ministre d’aller sur place à chaud, faute d’identification des revendications, souligne le cabinet de Mme Bareigts, ministre des outre-mer

« Le pacte d’avenir aurait dû être engagé sans attendre dans les domaines qui relèvent de la compétence de l’Etat : sécurité, justice, éducation, santé », plaide, pour sa part, Chantal Berthelot, députée (apparentée PS) de Guyane. « On ne peut pas dire que le gouvernement se soit désintéressé de l’outre-mer et de la Guyane, défend le sénateur apparenté socialiste Georges Patient. Cette forte exaspération est due non à son inaction mais à une action insuffisante. Mais l’Etat n’est pas le seul acteur, il faut aussi que les acteurs locaux s’investissent. »

Jusqu’à présent, aucune indication n’a été fournie sur la composition de la délégation ministérielle et la date de son départ. ­Assurant ne pas avoir « peur », Mme Bareigts avait affirmé, dimanche, qu’elle se déplacerait « lorsque les conditions seront réunies et que les choses auront bien avancé ». « Ce n’est pas la place de la ministre d’aller sur place à chaud, faute d’identification des revendications, souligne son cabinet. On commence à avoir les premières remontées. Elle est en situation, maintenant, de transformer en annonces ministérielles et en protocole d’accord. »

En réalité, le gouvernement veut éviter de se retrouver dans une situation où un de ses membres serait, de fait, « pris en otage », ou, à tout le moins, soumis à une très forte pression de la rue, décrypte une source au cœur du dossier. Pas question de répéter l’épisode de 1996, lorsque François Bayrou et Jean-Jacques de Peretti, respectivement ministre de l’éducation nationale et de l’outre-mer, s’étaient rendus à Cayenne et avaient conclu un plan de rattrapage scolaire, prévoyant la création d’un rectorat. Des mesures bienvenues mais arrachées dans un climat très tendu, après de nombreuses émeutes.

Le gouvernement insiste pour que les négociations, si elles ont lieu, se tiennent « dans un cadre républicain ». « La République, c’est aussi des règles, un cadre précis, y compris pour dialoguer. On ne dialogue pas en cagoule, on dialogue à visage découvert », a précisé le ministre de l’intérieur, Matthias Fekl, visant le collectif des « 500 frères contre la délinquance ». Le processus devrait s’accélérer à l’issue de la « journée morte » organisée mardi en Guyane.