Karim Benzema, le 1er mars, avec le Real Madrid. | Paul White / AP

Même les journalistes espagnols ont fini par se faire à son absence : lundi 27 mars, à la veille de France-Espagne, pas un n’a osé demandé à Didier Deschamps pourquoi Karim Benzema, qu’ils voient briller chaque semaine sous les couleurs du Real Madrid, ne serait pas au Stade de France pour la rencontre amicale entre les Bleus et la « Roja ».

Meilleur buteur français de l’histoire de la Ligue des champions (avec 51 réalisations) mais non convoqué par Didier Deschamps, le joueur de 29 ans n’a plus revêtu le maillot de l’équipe de France depuis un an et demi et son doublé inscrit contre l’Arménie, le 8 octobre 2015.

Un mois plus tard, l’ex-buteur de l’Olympique lyonnais (81 sélections, 27 buts depuis 2007) était mis en examen dans l’affaire du chantage à la sextape fait à son coéquipier Mathieu Valbuena. Il ne fut d’aucun rassemblement depuis, surtout pas de l’Euro 2016.

« Ça fait un an et demi que je n’y suis plus. Je le vis mal, a-t-il commenté le 23 mars, interrogé sur RMC par l’ex-international Christophe Dugarry, ami de son entraîneur au Real, Zinédine Zidane. Aujourd’hui, avec le recul, j’aimerais bien que le sélectionneur m’explique pourquoi il ne m’a pas sélectionné et pourquoi ça dure. Je me pose cette question tous les jours. »

Benzema chez Duga : "Je trouve ça injuste" d'être absent de l'équipe de France
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Pas de contact avec Deschamps depuis un an

Il faut dire qu’un flou artistique entoure le cas Benzema, qui n’a plus eu de contact téléphonique avec Deschamps depuis avril 2016. Le 13 avril, il y a près d’un an, le président de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët, et son sélectionneur décident de priver Benzema de l’Euro, organisé en France. Tout en disant dans un communiqué : « Il n’existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu’il soit sélectionné. » Durant sa mise en examen dans le cadre de l’affaire dite « Zahia », de 2010 à 2014, l’attaquant avait constamment été sélectionné. A l’instar de son partenaire Franck Ribéry, l’ex-pépite de l’OL avait ensuite été blanchie dans ce dossier.

«  La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l’unité, au sein et autour du groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l’ensemble des sélectionneurs de la Fédération », argue alors la Fédération. Et quatre mois plus tard, après un Euro achevé en finale, Deschamps ne convoque toujours pas le Madrilène. Mais le discours change : « Karim Benzema est sélectionnable depuis un moment. Je ne l’ai pas sélectionné pour l’Euro. Après, c’est à moi de le sélectionner ou de ne pas le sélectionner, décrète-t-il alors que le joueur est touché à la hanche. Pour être sincère, enfin si on peut dire ça, même s’il avait été disponible aujourd’hui, je ne l’aurais pas pris parce que je considère que ce n’est pas le moment. »

S’il soufflait le chaud et le froid, le technicien donnait alors l’impression d’avoir passé l’éponge sur l’entretien donné au journal sportif espagnol Marca, avant l’Euro, dans lequel le « banni » considérait que Deschamps « avait cédé à une partie raciste de la France » en ne le retenant pas pour le tournoi. « Dans la teneur de ses propos, il y a certaines choses où il est hors sujet. C’est arrivé à d’autres par le passé et ça ne m’a pas empêché de les rappeler en équipe de France», balayait « DD », dont la résidence secondaire, à Concarneau (Finistère), a été ornée d’un tag l’accusant d’être « raciste ».

« Didier peut le prendre s’il veut le prendre »

Depuis, les mois passent et l’équipe de France traverse, sans encombre, son tunnel de matchs qualificatifs pour le Mondial 2018... sans Benzema. Au fil des rencontres, Deschamps n’a d’ailleurs pas hésité à convoquer de jeunes talents offensifs comme le prodige monégasque Kylian M’Bappé, 18 ans, ou Moussa Dembélé, 19 ans. Rajeunissant considérablement son effectif (25 ans de moyenne d’âge), il puise sans relâche dans l’incroyable vivier dont il dispose dans ce secteur de jeu. Un mauvais signal envoyé à Benzema qui, lui, continue de faire part de son mécontentement à sa façon, sur les réseaux sociaux, lorsqu’il n’est pas appelé.

Et pendant ce temps-là... ☀️

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« Il a aujourd’hui un choix d’attaquants qu’il n’avait pas il y a quelques années. Didier, son métier, c’est de constituer une équipe », pointe aujourd’hui Noël Le Graët, reconduit le 18 mars pour un troisième mandat à la présidence de la FFF. Quand on le sonde sur le cas Benzema, le dirigeant de la Fédération se range derrière l’avis de son sélectionneur. « Benzema est sélectionnable donc Didier fait ce qu’il veut », affirme Le Graët, pour qui, désormais, la situation judiciaire « ne change rien »

« A l’Euro, il y avait la notion de vie de groupe. Didier avait fait une bonne préparation et a considéré, à juste titre, que son groupe pouvait aller au bout. Mais depuis l’Euro, Didier peut le prendre s’il veut le prendre. Aujourd’hui, il n’a pas souhaité reprendre Benzema. Demain, je n’en sais rien. Pour le moment, la décision appartient totalement au sélectionneur. C’est un choix sportif. »

« Il faut que je sache »

Deschamps maintient sa confiance en l’avant-centre Olivier Giroud, auteur d’un doublé contre le Luxembourg, mais cantonné au banc des remplaçants à Arsenal. En outre, un sentiment de lassitude mêlé à une forme d’agacement est perceptible chez Benzema, qui place de fait le sélectionneur au pied du mur. « Ce que j’aimerais, c’est avoir au moins une discussion avec le sélectionneur, qu’il me dise ce qu’il pense, il faut que je sache », a réclamé le joueur sur RMC.

En clair, l’affaire est arrivée à son extrémité. Et Didier Deschamps, sous contrat jusqu’au Mondial 2018, va devoir sortir de l’ambiguïté en répondant à ces deux interrogations : bannira-t-il Benzema jusqu’au terme de son bail à la tête des Bleus ? Comment justifie-t-il aujourd’hui la mise à l’écart prolongée du buteur du Real Madrid ? Soucieux de déminer le terrain sur un plan médiatique avant l’Euro 2016, le patron des Bleus n’a, toutefois, jamais caché son admiration pour un joueur qui évolue depuis huit saisons dans une institution du football européen.

Au-delà du cadre sportif, Benzema est devenu, à son corps défendant un objet politique et sociétal lorsqu’au printemps dernier, Manuel Valls, alors premier ministre, et Patrick Kanner, ministre des sports, se sont publiquement prononcés contre son retour en équipe de France. « Ça a pris une trop grosse ampleur. Tout le monde s’en est mêlé, c’est ça le problème, a d’ailleurs rappelé le buteur sur RMC. Ce que j’aimerais en fait, c’est avoir au moins une discussion avec le sélectionneur, qu’il me dise ce qu’il pense, si c’est pour ça ou pour le football mais qu’au moins je sache. »

Deschamps va-t-il enfin clarifier sa position sur le cas Benzema, qui n’a pas fait partie des cinquante joueurs présélectionnés pour les rencontres de mars et dont le nom n’est plus mentionné sur les comptes officiels des Bleus sur les réseaux sociaux depuis un an et demi ? « J’en parlerai plus tard, a récemment répondu le sélectionneur. Si je le décide...» Autant dire que DD ne donne aucun signe de vouloir sortir du flou artistique.