Le bras de fer entre Paris et Cotonou se poursuit. A l’origine de l’affaire dite « des biens culturels mal acquis », il y a cette demande du Bénin à la France, fin juillet 2016, pour que lui soient restituées plusieurs pièces « pillées » pendant la colonisation. Il s’agit d’environ 5 000 biens culturels (trônes royaux, sceptres, portes sacrées du palais d’Abomey, statues anthropomorphes…) répartis dans plusieurs musées privés, mais dont la majorité appartient au Musée du quai Branly, à Paris.

Dans une lettre envoyée le 12 décembre 2016 à Aurélien Agbenonci, ministre béninois des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, son homologue français, explique que les biens évoqués « ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public de l’Etat français » et que « conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution n’est pas possible. »

L’affaire aurait pu en rester là. C’était compter sans le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), soutenu par un collectif de députés français et béninois, ralliés par les rois du Bénin. Dans une tribune publiée notamment dans Le Monde, les députés rappellent « qu’il existe en France une Commission scientifique nationale des collections, dont la mission est justement de déclasser les objets soumis à son examen, en vue d’une éventuelle restitution. Quand des objets du patrimoine ont été volés, la Commission peut les déclasser en vue d’une restitution intégrale. Par conséquent, ces biens qui ont été emportés par les armées coloniales peuvent être déclassés et restitués. »

Le collectif demande donc à François Hollande, à quelques mois de la fin de son mandat, « de saisir la Commission et d’acter la restitution de manière officielle et irréversible, au moins pour les objets royaux. Le Bénin ne demande pas de repentance, il demande restitution. »

Mardi 28 mars, la tension est montée d’un cran. Dans une vidéo publiée sur Twitter, Sindika Dokolo, considéré comme le plus grand collectionneur africain d’art, a fait part de son indignation à propos de « la spoliation par la France du patrimoine béninois. »

« Il s’agit d’objets royaux d’une importance capitale, explique l’homme d’affaires. Je suis choqué, dégoûté, car il s’agit d’une insulte pour tous les Africains. J’en ai marre qu’on traite l’Afrique comme ça ! J’ai donc décidé d’annuler le prêt de cinq objets d’art classique que je m’étais engagé à prêter lors d’une exposition sur les arts du Gabon avec le Musée du quai Branly… Les œuvres [réclamées par le Bénin] ont été volées, pillées. »

Ange Nkoué, ministre béninois du tourisme et de la culture, a répondu avec prudence aux questions du Monde Afrique, par courriel et non par téléphone afin de « peser » chacune de ses réponses.

Que contiennent les pièces que le Bénin réclame à la France ? Leur valeur commerciale a-t-elle été estimée ?

Ange Nkoué La requête de la République du Bénin est très claire. C’est une question de recherche d’identité. Nous sommes essentiellement à la recherche des éléments patrimoniaux qui fondent notre identité culturelle. Il n’est donc pas question pour nous de parler d’une valeur commerciale. Pour paraphraser une chanson française bien connue [« Chacun sa route », de Tonton David], tous les peuples sont « d’un chemin… ». Ce patrimoine, c’est notre Histoire, notre passé qui nous permet de fonder notre présent afin de construire notre avenir.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le Bénin n’a pas la capacité logistique pour assurer la sécurité de ces pièces dans ses musées ?

Le Bénin a créé son premier musée en 1944. Nous avons des collections qui sont gérées depuis cette date et qui ne se sont pas détériorées. Mieux : nous avons prêté dans le passé des objets pour alimenter des expositions temporaires dans des musées en France. Parmi les tout derniers exemples, on peut citer l’exposition « Dieux, rois et peuples du Bénin » à l’Historial de la Vendée, en 2008-2009, et l’exposition « Artistes d’Abomey » au Musée du quai Branly, en 2009-2010. Vous pouvez en tirer les conclusions vous-même.

Comment qualifiez-vous la réponse écrite de Jean-Marc Ayrault ? Ses arguments vous semblent-ils recevables ou vivez-vous cette lettre comme une humiliation ?

En lisant la lettre de M. Ayrault, je lis ceci : « J’ai conscience de la valeur historique et culturelle de ces biens pour le Bénin et l’ensemble des Béninois. Je partage votre souhait de mieux les faire connaître. Des coopérations muséales de grande ampleur ont déjà été mises en œuvre entre nos deux pays. Je vous confirme mon entière disponibilité à les développer encore davantage. » Y voyez-vous un refus ?

Quelles suites diplomatiques ou juridiques allez-vous donner à cette affaire ?

Comme l’a souhaité la partie française, nous sommes en concertation.

Patrice Talon, le président du Bénin, s’est lancé dans une réforme visant à augmenter l’offre culturelle et logistique dans son pays. La France a-t-elle d’autres « dettes » à régler avec le Bénin ?

Finissons d’abord de résoudre la question de ces pièces.