Qui l’eût cru ? Voilà George W. Bush, naguère président va-t-en-guerre moqué pour son manque de finesse, qui caracole en tête des ventes aux États-Unis avec son livre Portraits of Courage, succès de librairie et d’estime, sorti le 28 février.

L’ancien président des États-Unis, George W. Bush, présente son ouvrage « Portraits of Courage ». | LM Otero/AP/Sipa

Premier de la catégorie essais et documents dans le New York Times et premier de la catégorie peinture sur Amazon. L’ouvrage regroupe les reproductions commentées de 66 peintures, réalisées par ses soins, de soldats ayant combattu durant sa présidence (2001-2009) et revenus blessés. Ces toiles sont exposées en ce moment à Dallas, dans quatre salles de son néoclassique Musée Bush, pompeusement et entièrement consacré à sa personne.

« Naïf » et « pataud »

Ce goût de l’ancien président pour les pinceaux ne date pas d’hier et a longtemps suscité les railleries. Il a été révélé dès 2013 par la publication de photos volées par un pirate informatique dans un e-mail de sa sœur. Elles montraient deux autoportraits du Texan, un sous la douche et un dans son bain. George W. Bush a alors admis avoir été saisi par une nouvelle passion, peu après son départ de la Maison Blanche, lorsque John Lewis Gaddis, historien de l’université de Yale, lui a conseillé de lire Painting as a Pastime (« la peinture comme passe-temps »), de Winston Churchill. Comme libéré par la mise en circulation de ses autoportraits, il a embrassé publiquement ce hobby, jusqu’à présenter en 2014 une exposition d’une trentaine de tableaux représentant les dirigeants côtoyés pendant sa présidence. Il y avait là Tony Blair, Vladimir Poutine, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy ou encore le dalaï-lama.

Les visages distordus et parfois vaguement reconnaissables avaient attiré les commentaires acides des critiques. « Naïf » et « pataud », disaient-ils. Rares étaient ceux qui avaient salué le travail d’un « amateur éclairé ». Même si le « Rembrandt enfermé dans ce corps », comme il aime se parodier, n’a pas totalement réussi à se libérer, George W. Bush s’est obstiné. En septembre 2015, il a réalisé le portrait d’un ancien militaire amputé, blessé en Irak. Un soldat qu’il avait lui même envoyé au front en tant que chef des armées. Puis il a peint d’autres vétérans. Et d’autres encore. Décidé à en faire son viatique.

De l’art brutal avec happy end

Si l’ancien président des États-Unis n’a jamais émis de regrets pour avoir engagé, après le 11-Septembre, son pays dans les guerres d’Afghanistan (2001) et d’Irak (2003) – qui ont fait des centaines de milliers de victimes civiles –, l’initiative ressemble à une recherche de rédemption de la part du « war president », comme il se faisait lui-même appeler. Lui s’en défend. Évidemment. Mais ses toiles, notes et commentaires compassionnels distillés au fil de l’exposition et sur sa version en ligne laissent peu de doute sur son sentiment envers « des hommes et des femmes remarquables qui ont été blessés en suivant mes ordres ». Et d’ajouter : « Je pense à eux tous les jours. »

Il y a quelque chose d’un exorcisme quand on suit, toile après toile, les portraits de ces soldats meurtris, balafrés, énucléés et amputés. George W. Bush est un adepte du Born Again (mouvement chrétien où un fidèle peut spirituellement renaître ou se régénérer), et cela se voit. Certains soldats sourient. La lieutenant Melissa Stockwell, unijambiste avec prothèse, danse même avec l’ex-président. Le chef officier Jeremy Valdez pose, lui, avec « G. W. Bush » tatoué sur l’avant-bras. L’ex-chef d’État avait signé son nom au feutre sur la peau du jeune militaire lors d’une course cycliste de vétérans, et ce dernier s’était ensuite précipité chez le tatoueur avant que l’encre ne s’efface. Plus loin, les sergents Andrew Hillstrom et Scott Lilley portent chacun leur enfant, ravi, dans leurs bras. C’est de l’art brutal avec happy end.

Un hobby d’ex-président

George W. Bush n’est pas le premier président américain à s’adonner à la peinture. Ulysses Grant avait étudié le maniement du pinceau à West Point et produit des paysages. Dwight Eisenhower avait repris ce passe-temps après la seconde guerre mondiale, peignant des personnages comme le maréchal Montgomery, John Foster Dulles ou la princesse Anne. Jimmy Carter s’était adonné, quant à lui, aux paysages. Une de ses toiles a même été vendue, en 2012, 250 000 dollars (232 000 euros) à une vente aux enchères pour une œuvre de charité. Mais aucun n’avait un lien aussi organique avec son sujet. Aucun n’a autant fait œuvre.

Quelque 6 900 soldats américains sont morts dans les guerres de l’après 11-Septembre. Plus de 50 000 ont été blessés. Et près de 2,5 millions ont servi au total en Afghanistan ou en Irak depuis 2001. Lors d’une signature organisée pour la vente de son livre, Bush a réaffirmé qu’il pensait avoir pris la bonne décision en envoyant ces hommes à la guerre. Il dit seulement regretter qu’« ils aient été blessés ». Cela se voit. Et donne le vertige.