LA LISTE DE NOS ENVIES

Face-à-face classique cette semaine, entre deux monstres américains venus pour vaincre – un film d’animation d’une grinçante drôlerie, un récit cyberpunk doté de la bombe Johansson – et trois titres plus modestes et singuliers, réalisés entre la France, le Congo et le Mexique, qui tentent d’apprendre sinon à mourir, du moins à mieux vivre.

L’ART DE FAIRE CHANTER LA MISÈRE ET LA BEAUTÉ : « Félicité »

FÉLICITÉ Bande Annonce (Drame Français - 2017)
Durée : 02:09

Le quatrième long-métrage du Franco-Sénégalais Alain Gomis cherche et trouve la beauté, la dimension spirituelle de la vie d’une femme qui se débat férocement contre la fatalité, aujourd’hui à Kinshasa. La nuit, Félicité (Véro Tshanda Beya) chante dans un bar avec les Kasaï Allstars, avatar cinématographique d’une formation contemporaine congolaise. Le jour, elle récupère dans un petit appartement d’un quartier populaire, où rien ne marche. Tabu (Papi Mpaka) espère gagner son cœur en trouvant la courroie qui fera tourner le ventilateur de son réfrigérateur. Son fils étant gravement accidenté, la chanteuse ne dispose pas des quelques centaines de dollars nécessaires à l’opération. Elle se lance alors dans une course démente (la démence de la douleur, celle de l’urgence) à travers la ville… Thomas Sotinel

Film sénégalais, français et congolais d’Alain Gomis, avec Véro Tshanda Beya, Papi Mpaka, Gaëtan Claudia (2 h 03).

SCARLETT JOHANSSON, BEAUTÉ CYBERNÉTIQUE : « Ghost in the Shell »

GHOST IN THE SHELL - Bande-annonce #1 (VOST) [au cinéma le 29 mars 2017]
Durée : 02:17

Rupert Sanders, réalisateur de clips remarqué, aura donc été choisi pour donner un avatar hollywoodien à la célèbre saga cyberpunk nippone. Il signe un blockbuster haut de gamme au message antitotalitaire, fondamentalement assommant mais visuellement inventif, foisonnant de références. On y retiendra la reconduction à haute valeur technologique d’une vieille fascination pour l’hybridation de l’humain et de la machine (Golem, Frankenstein, Pinocchio…) et d’incontestables fulgurances visuelles, mêlant figures traditionnelles et monde cybernétique (les magnifiques robots-geishas), ressuscitant sur des corps robotisés les écorchés de la tradition picturale, transformant à vue la matière d’un état solide à un état gazeux. Scarlett Johansson, femme-robot à la plastique recomposée, reste toutefois l’argument ultime de ce film, trouvant dans sa décomposition charnelle le motif d’une beauté fatalement reconduite. Jacques Mandelbaum

Film américain de Rupert Sanders. Avec Scarlett Johansson, Pilou Asbaek, Takeshi Kitano, Juliette Binoche (1 h 46).

LE PREMIER DESSIN ANIMÉ DE L’ÈRE TRUMP : « Baby Boss »

Baby Boss - Nouvelle Bande annonce [Officielle] VF HD
Durée : 02:39

La sortie de Baby Boss confirme le constat d’un studio, DreamWorks, condamné au second degré, mais cette fois-ci pour le meilleur. L’histoire est celle de Tim, un garçon de 7 ans choyé par ses parents, qui doit faire face à l’arrivée d’un petit frère. Le nouveau-né est tout ce qu’il y a de plus mignon, mais il est né avec un costume et un attaché-case et se prénomme Baby Boss. Le gros joufflu se révèle être un espion pour le compte de l’entreprise Baby Corp. Sa mission : démanteler un complot fomenté par le PDG de Puppy Co, qui veut lancer sur le marché le chien le plus mignon du monde pour conquérir l’affection des êtres humains et ainsi prendre la place des bébés.

Baby Boss est chargé d’inverser la tendance en volant le prototype du chien le plus mignon pour ainsi rétablir l’ordre du monde. Hasard ou non, on ne le saura jamais, s’agissant d’un film annoncé dès 2014. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que les scénaristes et animateurs du studio ont calqué l’apparence du poupon sur celle de Donald Trump. Doté d’un cynisme et d’un carriérisme à toute épreuve, il rêve, une fois sa mission accomplie, d’avoir une promotion et un bureau pour lui tout seul. Avec son costume noir, sa cravate rouge et son jeu de mains, un détail nous conforte dans cette piste puisque Alec Baldwin, qui prête sa voix à Baby Boss, continue d’incarner le sosie parodique de Donald Trump dans l’émission de divertissement à sketchs « Saturday Night Live ». Murielle Joudet

Film d’animation de Tom McGrath (1 h 37).

QUATRE FEMMES EN UNE : « Orpheline »

ORPHELINE Bande Annonce (Adèle Exarchopoulos, 2017)
Durée : 02:12

A rebours de l’acteur incarnant plusieurs rôles dans un même film – défi de cinéma classique –, certaines œuvres récentes se sont essayées à faire interpréter par plusieurs comédiens un seul et même personnage, gageure de cinéma moderne. Le premier cas fait admirer l’abattage de l’acteur. Le second confronte le spectateur à la rupture d’une clause fondamentale de la croyance cinématographique. Rencontre de la poésie rimbaldienne et de la peinture cubiste, ce genre d’approche subordonne l’identité à l’altérité qui la peuple.

Il s’agit, dans Orpheline, le nouveau long-métrage d’Arnaud des Pallières, le réalisateur de Michael Kohlhaas, d’un portrait de femme diffracté par quatre actrices qui l’incarnent à différentes périodes de son existence. Inspiré de la vie de la coscénariste du film, Christelle Berthevas, le récit répond à une structure complexe, remontant par strates, ou par emboîtement, d’un état présent du personnage jusqu’à son enfance, pour finir par le rejoindre là où l’histoire avait commencé. Où l’on apprendra, in fine, comment braver un destin contraire et comment, peut-être, apprendre à se réparer pour vivre. J. M.

Film français d’Arnaud des Pallières. Avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Vega Cuzytek, Gemma Aterton, Jalil Lespert, Nicolas Duvauchelle, Sergi Lopez (1 h 51).

DIALOGUE DE FIN ENTRE UNE FILLE ET SON PÈRE : « Jazmin et Toussaint »

Jazmin et Toussaint , Bande annonce, sortie le 29-03-17.
Durée : 01:47

C’est un tout petit film, puisé pour l’essentiel dans les souvenirs de sa jeune réalisatrice, la Mexicaine Claudia Sainte-Luce. Une pièce de chambre pour deux acteurs, un homme haïtien vieillissant (Jimmy Jean-Louis) et une citadine du district fédéral (la cinéaste elle-même), qui se trouve être la fille du premier. Les premières séquences mettent en scène les retrouvailles catastrophiques de cette famille depuis longtemps décomposée. Jazmin est alertée par un hôpital ne sachant plus que faire de Toussaint, qui, ressurgissant dans sa vie après une longue absence, présente les premiers signes d’une démence sénile. La cinéaste-comédienne trace très finement la trajectoire de Jazmin, rebelle qui jamais ne se rendra, surtout à l’obligation de l’amour filial, mais qui, dans le commerce quotidien de cet homme en lambeaux, découvre deux ou trois choses au sujet de l’humanité que la vie ne lui avait pas encore apprises. T. S.

Film mexicain de et avec Claudia Sainte-Luce. Avec Jimmy Jean-Louis (1 h 41).