La Barcelonaise Vicky Losada saute par-dessus son adversaire de Rosengard. | TT NEWS AGENCY / REUTERS

FFC Francfort, Umea IK, Turbine Potsdam, Fortuna Hjorring ou encore Zvezda Perm… si vous ne suivez pas régulièrement le football féminin, il y a peu de chance que vous ayez déjà entendu parler de ces équipes, pourtant toutes finalistes ou vainqueurs de la Ligue des champions. Mais pour la première fois cette saison, le dernier carré de la Ligue des champions féminine pourrait se confondre avec celui de son homologue masculine.

Ce mercredi (à 20 heures), le Paris-Saint-Germain reçoit, au Parc des Princes, le Bayern Munich en quarts de finale retour, après sa défaite 1-0 à l’aller. A 20 h 45 au Parc OL, les joueuses de Jean-Michel Aulas tenteront de valider leur qualification face à Wolfsburg, après une victoire 2-0 en Allemagne. Manchester City et le FC Barcelone sont également bien partis pour rejoindre les demi-finales, et le Barça comme le Bayern peuvent devenir les premiers clubs à cumuler Ligue des champions masculine et féminine.

Au milieu d’une grande majorité d’équipes sœurs d’un club professionnel masculin, seuls deux quart-de-finalistes dénotent cette saison : les Danoises du Fortuna Hjorring et les Suédoises de Rosengard, dont la section masculine évolue à niveau inférieur. Longtemps l’apanage de clubs unisexe, à l’exception notable d’Arsenal (titré en 2006), de l’Olympique lyonnais (triple vainqueur en 2011, 2012 et 2016) ou de Wolfsburg (double vainqueur en 2013 et 2014), la Ligue des champions féminine semble en voie de « professionnalisation ».

« La réussite semble désormais se situer dans le modèle de sections féminines intégrées dans des clubs masculins, confirme l’ancienne internationale Sonia Bompastor, aujourd’hui directrice du centre de formation féminin de l’OL. Cela permet de progresser plus vite et de bénéficier de leur expérience de fonctionnement, de leur puissance financière et de la qualité de leurs infrastructures. »

« Des clubs aux gros moyens financiers »

Brigitte Henriques, chargée du développement du football féminin à la Fédération française de football (FFF), trouve un point commun évident à ces nouveaux acteurs. « Ces clubs qui font aussi le pari du foot féminin ont de très gros moyens financiers. C’est important de le dire car, comme il n’y a pas encore d’économie derrière le sport féminin, cet investissement à perte ne peut venir que de gros clubs qui ne se préoccupent pas d’être à l’équilibre budgétaire », analyse la secrétaire générale de la FFF.

Plus qu’un intérêt économique, pour le moment illusoire, ces clubs y trouvent un intérêt médiatique. « L’exemple d’Arsenal, de l’OL et de certains clubs allemands montre qu’avoir une section féminine performante au sein d’un club est intéressant en termes d’image. Et puis, au moment où l’égalité hommes-femmes dans la société prend de plus en plus de force dans les discours, il est normal que le monde du sport suive », explique Sonia Bompastor.

Les joueuses du PSG et du Bayern se disputent une place en demi-finale de la Ligue des champions. | CHRISTOF STACHE / AFP

En Angleterre, les équipes dominatrices s’appellent Liverpool, Chelsea, Arsenal ou Manchester City. En Espagne, le Barça, l’Atletico Madrid, l’Athletic Bilbao ou Valence jouent le titre. Le Real Madrid a annoncé, en décembre 2016, la création de son équipe féminine avec de fortes ambitions, un budget astronomique – à l’échelle du football féminin – de 15 millions d’euros et l’ex-sélectionneuse allemande Silvia Neid pressentie sur le banc. En Allemagne, le Bayern Munich et Wolfsburg ont pris l’ascendant sur les places fortes traditionnelles comme le FFC Francfort ou le Turbine Potsdam.

En France, après les promotions en division 1 de l’Olympique de Marseille et des Girondines de Bordeaux, huit clubs sur douze portent les couleurs d’un club de Ligue 1. Les Marseillaises peuvent se targuer d’avoir battu les Parisiennes (2-0 le 18 mars) et figurent au classement devant Juvisy, demi-finaliste de la Ligue des champions en 2013. Bastion du football féminin tricolore, les Essonniennes tentent de suivre le cours de l’histoire. Dimanche dernier, le club féminin de Juvisy et le club masculin du Paris FC (National) ont annoncé leur fusion.

Absente des demi-finales européennes depuis 2008 (Vérone), l’Italie est le seul grand championnat se développant à un tempo moderato. Depuis quelques saisons, la Fiorentina, actuellement en tête du championnat, et la section féminine de la Roma montrent l’exemple. Mais la Juventus Turin ou l’Inter Milan évoluent en deuxième division et l’équipe féminine du Milan AC a disparu en 2013.

Le Real s’y met enfin

« Pour le moment, on ne peut pas rivaliser avec les clubs français ou allemands, admet Patrizia Panico, meilleure joueuse italienne de l’histoire, notamment deux fois meilleure buteuse de la Ligue des champions en 2008 et en 2013. Il est très important que des clubs comme la Juve ou la Fiorentina investissent car le foot féminin n’est pas professionnel en Italie. Il faut bâtir un meilleur championnat, attirer des joueuses étrangères et améliorer la formation des jeunes joueuses. Tout cela passe par l’implication des clubs traditionnellement masculins. »

Loin d’atteindre les sommets médiatiques du football masculin, son équivalent féminin ne peut que profiter de l’arrivée massive de ces grands noms. Naturellement associés au haut niveau, le Bayern, le Barça, Manchester City ou demain le Real Madrid constituent une belle publicité. « C’est plus parlant pour les médias, ça les attire, reconnaît Brigitte Henriques. Mais l’essentiel doit rester la qualité de jeu et pas le nom de l’affiche. »

Sonia Bompastor se rappelle, elle, qu’un quart de finale européen en 2008 contre Arsenal avait attiré 22 000 spectateurs au stade de Gerland (Lyon), « notre première grande affluence. En demies, nous avions joué face à Umea IK, un club uniquement féminin dont le nom parlait moins. Résultat, le nombre de spectateurs avait été moindre ».

Doubles vainqueurs de la compétition, encore finalistes cette année-là, les Suédoises d’Umea peuvent-elles encore briller en Ligue des champions ? Depuis 2011, le trophée n’a échappé qu’une fois à une équipe non affiliée à un club professionnel masculin (2015, FFC Francfort). L’Olympique lyonnais (3) et Wolfsburg (2) se sont partagé les cinq autres récompenses. Le Turbine Potsdam, unisexe, a cependant été finaliste en 2011 et le club suédois de Tyreso, davantage connu pour sa section féminine que masculine, l’a été en 2014.

Les Danoises du Fortuna Hjorring continuent de résister malgré le court succès de Manchester City en quart de finale aller (1-0). | HENNING BAGGER / AFP

Allemagne et Suède : seuls les pays précurseurs en matière de football féminin semblent pouvoir résister au nouveau modèle. « Le statut de la femme y est plus évolué. Ces clubs traditionnels sont forts, ils ont un budget conséquent, une reconnaissance et sont bien implantés dans le paysage », juge Sonia Bompastor.

Basculement comparable au rugby des années 1990

En France, Juvisy-sur-Orge (Essonne), sextuple champion de France et dernier vainqueur avant le long règne lyonnais, continue d’impressionner ses adversaires. « Un club comme Juvisy, avec son expérience, peut toujours rivaliser avec les nouveaux venus, insiste Brigitte Henriques. Et puis, ça prend du temps avant qu’une équipe devienne performante. Le collectif ne se construit pas comme ça. »

« Juvisy est, à mon sens, toujours plus pro que nous, même s’il est vrai que médiatiquement une machine comme celle de l’OM peut faire la différence par rapport à un club amateur », confirme Christophe Parra, entraîneur de l’équipe marseillaise.

Les Charentaises de Soyaux, qui possèdent le record de longévité en division 1 devant Lyon, suscitent, elles aussi, le respect de l’entraîneur de l’OM : « Lorsque l’on a joué à Soyaux, j’ai vu une ville entière derrière son club. Dans certains domaines, grâce à une armée de bénévoles, ils sont mieux organisés que nous. Le nombre de panneaux publicitaires autour du terrain m’a interloqué. Tout ça prouve un fort soutien économique et humain. »

Sonia Bompastor est toutefois consciente de vivre un basculement : « On commence ce que le rugby a débuté dans les années 1990. Il y a seulement quatre ou cinq ans, les jeunes joueuses étaient plus préoccupées par leur scolarité. Aujourd’hui, pour les trois quarts des filles, devenir footballeuse professionnelle est l’objectif numéro un. »