Dix-huit prévenus, membres ou sympathisants du groupuscule néo-nazi WWK, comparaissent depuis lundi devant le tribunal correctionnel d’Amiens. | FRANCOIS LO PRESTI / AFP

« Comment voulez-vous que moi, tout seul, je puisse inciter dix-huit mecs à se battre entre eux ? Et des costauds en plus ! » C’est justement la question à laquelle ont tenté de répondre les juges du tribunal d’Amiens, mercredi 29 mars, en se penchant sur le profil dominateur et ultraviolent de Jérémy Mourain, 27 ans, chef du groupuscule d’extrême droite White Wolves Klan (WWK). A ses côtés, dix-sept prévenus sont jugés depuis lundi, notamment pour participation à un groupe de combat, violences aggravées et vols.

Face aux faits accablants qui le visent, Jérémy Mourain n’a eu d’autre choix que de reconnaître sa « violence démesurée », avant de marteler « être passé à autre chose ». L’apparente rédemption du prévenu ne convainc pas le substitut du procureur, M. Gacquer, qui requiert une peine de dix ans de prison ferme – la plus lourde encourue.

Un réquisitoire sévère, qui ne dédouane pas les autres prévenus, contre qui le ministère public réclame des peines allant de six mois avec sursis à sept ans de prison ferme pour Jérôme Bailly, bras droit de Mourain, considéré comme « l’éminence grise » du WWK. Seul Serge Ayoub, figure tutélaire de l’ultra droite, bénéficie d’une demande relaxe.

L’ancien chef de Troisième Voie – une organisation dissoute un mois après la mort du militant d’extrême gauche Clément Méric en juin 2013, à Paris – est jugé pour complicité de violences aggravées pour avoir donné l’ordre à Jérémy Mourain d’attaquer un groupe rival en 2012. Mais « un doute » sur « la sur-interprétation de M. Mourain quant aux mots de Serge Ayoub subsiste », a fait savoir M. Gacquer, suscitant un sourire de l’intéressé, vêtu d’un costume gris satiné, alors que les autres prévenus arborent polos, jeans, tatouages et baskets à grosses semelles.

Absence d’empathie

Entre Serge Ayoub et Jérémy Mourain, la filiation est évidente. Ce dernier a été le leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) en Picardie, le service d’ordre de Troisième Voie. Lorsque les JNR sont dissoutes elles aussi, le jeune homme s’émancipe, et créé le « White Wolves Klan ».

Comme pour les autres prévenus, son adhésion aux mouvements d’extrême droite remonte à l’adolescence. Mais contrairement à eux, elle n’est pas corrélée à une histoire familiale instable. M. Mourain est fils de cadre. Ce qui le fait basculer ? Une consommation d’alcool excessive dès l’âge de 13 ans. Cette envie manifeste de braver les interdits le conduit, quelques années plus tard, à intégrer un groupe de skinheads.

« J’allais en boîte de nuit avec eux. Dans ma tête d’adolescent de 17 ans, je trouvais qu’ils avaient un certain charisme », confie Jérémy Mourain avec une constante agressivité dans la voix. Le rapport des psychologues met en avant une « emprise » du mouvement skinhead, corroborée par la « fragilité narcissique » et le « besoin excessif » du prévenu d’être admiré. Le tout accentué par un manque d’empathie pour les autres.

« J’ai toujours aimé être dans la lumière pour avoir l’impression d’exister. L’empathie, c’est faux », rétorque le chef du WWK, considérant que cette « fascination » s’explique avant tout par son profil grégaire :

« Quand je ne faisais pas partie d’une bande, j’avais le sentiment d’être inexistant, de ne servir à rien. »

« Concentré de haine »

Sa bande, M. Mourain va la façonner à son image : violente et soumise, sur fond de dépendance à la drogue et d’idéologie nationaliste. Entre 2012 et 2014, le groupe commet vols, violences gratuites et lynchages contre des groupes rivaux, des personnes d’origine étrangère. Et surtout contre les membres du « clan » choisis au hasard selon l’humeur du chef.

« Un concentré de haines » et de « violences extrêmes » commis par des « justiciers de pacotille », résume le substitut du procureur. Jérémy Mourain, lui, refuse de porter seul la responsabilité de ces accusations. « Je peux reconnaître qu’ils se sentaient obligés de vouloir me plaire, mais chacun est maître de ses actes », tranche-t-il.

Lâché par ses membres au fil de l’instruction, Jérémy Mourain, alias « Capone », fait savoir qu’ils étaient pourtant nombreux à le soutenir en détention. « Je te remercie d’être là pour nous », écrivait Mathieu Dupont dans une lettre lue par la présidente. Aujourd’hui, tous semblent conscients de leur part de responsabilité. Croisé dans les couloirs du palais de justice, un prévenu reconnaît sans détour : « le réquisitoire est sévère mais il faut dire qu’on n’était pas des anges non plus. »