Dans le métro londonien, les agents écrivent au feutre, sur de grands panneaux, les informations utiles aux voyageurs. Au lendemain de l’attentat qui a frappé la capitale britannique, mercredi 22 mars, l’image de l’un d’entre eux a fait le tour des réseaux sociaux. On pouvait y lire : « Nous rappelons poliment à tous les terroristes qu’ICI C’EST LONDRES, et que quoi que vous nous fassiez, nous boirons toujours du thé, et continuerons joyeusement à ­vivre » (carry on en anglais, en référence à une célèbre affiche du gouvernement britannique pendant la seconde guerre mondiale).

Une idée sympathique… A ceci près que la photo était un montage : aucun agent n’a inscrit cette phrase sur un panneau. Peu d’internautes s’en sont rendu compte, partageant la photo à l’envi, comme de nombreux autres canulars. Mais ils ne sont pas les seuls : les plus éminentes personnalités du pays se sont ­également laissé prendre. Devant le Parlement britannique, le député Simon Hoare l’a lu tout haut, avant que la première ministre Theresa May ne salue « un hommage merveilleux » qui « résume tout ce que tout le monde a dit aujourd’hui dans ces murs ».

Images détournées

Encore un coup des « fake news » ? Alors que ce débat prend de l’ampleur depuis l’élection de Donald Trump, au terme d’une campagne polluée par de fausses informations massivement partagées par les internautes, force est de constater que ces derniers n’ont pas encore acquis les réflexes de prudence qui s’imposent. Une simple recherche sur Google Images ­permet en effet de remonter aux origines de cette photo. Et de découvrir que l’origine de ce canular remonte à un inoffensif mème vieux de plusieurs années. Les mèmes, une tradition sur le Web, sont des images détournées, ­déclinées sous de multiples formes de façon ­humoristique. Les plus célèbres continuent à stimuler la créativité des internautes des ­années après leur lancement, tandis que pour d’autres la popularité s’atténue très vite.

Ce fut le cas de « Tube Sign », qui connut son heure de gloire en 2015 avant de retourner dans l’oubli. A cette époque, un développeur du Yorkshire avait créé un outil en ligne permettant à n’importe qui d’inscrire le texte de son choix sur une photo de panneau du ­métro. Ce mème fit parler de lui une première fois lorsqu’un individu, soupçonné d’être un terroriste, poignarda trois personnes dans le métro londonien. Un homme lui avait alors lancé : « Tu n’es pas musulman mec ! », phrase que les internautes avaient transformée en mot-dièse (#YouAintNoMuslimBruv). L’un d’eux avait alors utilisé le générateur pour inscrire ce mot sur la photo du panneau, assurant à ce mème un grand succès. La deuxième fois lorsque la société de transports de Londres ­demanda au créateur du générateur de le mettre hors ligne, après avoir remarqué que des internautes s’en servaient pour diffuser des messages racistes – ce qui pouvait laisser penser qu’ils avaient été inscrits par ses salariés.

C’est ce même outil qu’a utiliséla personne, non identifiée, ayant eu l’idée d’y insérer la phrase qui a tant plu aux internautes après l’attentat du 22 mars. Celui-ci aura donc fait renaître ce mème de ses cendres. Même si beaucoup, une fois la supercherie révélée, se sont mordu les doigts d’avoir naïvement partagé cette image, un grand nombre a ­décidé de continuer, malgré tout, à la diffuser, mais sans la présenter comme réelle. Après tout, l’intention de son auteur ne semble pas de nuire : son message est une bouffée d’air, humoristique et forte à la fois. En quelques heures, ce mème est ainsi passé à la postérité, devenant l’un des symboles de la résistance de Londres face au terrorisme.