L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) a rendu, jeudi 30 mars, un avis très attendu sur le contrat de performance décennal conclu entre l’Etat et SNCF Réseau, la branche de la compagnie ferroviaire chargée de la gestion du réseau ferré en France. Les sévères reproches adressés par le gendarme du rail aux deux parties contractantes ont fait sensation, ce contrat prévoyant 46 milliards d’euros d’investissement sur dix ans devait en effet remettre le système ferroviaire français d’aplomb et la SNCF sur les rails. Après cet avis globalement négatif, Bernard Roman, président de l’Arafer, estime, dans un entretien au Monde, que la copie est à revoir.

Quel est, au fond, le principal reproche que vous, en tant que président de l’Arafer, adressez à ce plan d’investissement ?

Ce contrat de performance – censé être au cœur de la réforme ferroviaire de 2014 – ne répond pas aux défis auxquels les parlementaires ont souhaité qu’il réponde. Ce contrat aurait dû spécifier des priorités pour le développement du réseau. Et c’est le silence. Il aurait dû déterminer une stratégie pour la gestion du réseau, notamment en matière de productivité, de qualité et de sécurité. Sur ces trois points, le contrat est censé définir des indicateurs de performance. On n’en a aucun. Enfin, l’Etat devait proposer une stratégie financière qui mette fin à la spirale de l’endettement. Nous pouvons craindre que l’effet inverse ne se produise. Le résultat est un exercice un peu formel qui ne répond pas à l’enjeu.

Les parties prenantes – l’Etat et SNCF Réseau –, qui ont eu plus de deux ans pour bâtir ce document, semblent s’y être pris trop tardivement, avec un manque de concertation, de discussions, de consultations. Le travail que l’Arafer a accompli en trois mois pour analyser le contrat n’a pas été fait par les services de l’Etat.

C’est très sévère…

Je tiens à préciser que l’Arafer n’est pas un tribunal. Nous ne sommes pas là pour juger telle ou telle partie ; ni l’Etat, ni ses services, ni SNCF Réseau. Notre rôle se limite à juger un document. Le travail du régulateur ne se fait d’ailleurs pas sans dialogue. Le collège de l’Arafer a reçu Patrick Jeantet, PDG de SNCF Réseau, conjointement avec François Poupard, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) au ministère de l’écologie.

Nous avons aussi invité de très nombreuses entreprises ferroviaires à s’exprimer auprès de nous. Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire. Nous essayons vraiment de nous imprégner des auditions, des rencontres avec les opérateurs et de l’analyse des documents qui nous sont fournis.

Quel a été la tonalité de ces consultations ?

Les entreprises ferroviaires ont clairement signifié que les propositions d’évolution tarifaire prévues dans le contrat n’étaient pas soutenables. Nous avons reçu des chargeurs qui nous ont dit que les hausses prévues des péages pour les trains de fret – jusqu’à 10 % d’augmentation par an en fin de période du contrat – les conduiraient sans doute à choisir la route, sauf qualité de service très améliorée. Ce serait un nouveau recul pour notre fret ferroviaire. La France plafonne à 10 % de part du ferroviaire dans le transport de marchandises. Nos voisins sont à 25 % ou 30 % et ce taux est en train d’augmenter.

Dans votre avis, vous vous inquiétez d’une nouvelle hausse non maîtrisée de l’énorme dette ferroviaire. Cette spirale est-elle mortelle pour la SNCF ?

La SNCF n’est pas mortelle, puisque c’est un établissement public dont l’Etat est le seul actionnaire. Ce dernier est en mesure d’assumer les difficultés économiques de l’entreprise. Cela n’empêche pas de souhaiter que celle-ci soit rentable. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la loi : faire en sorte que les recettes de SNCF Réseau couvrent ses dépenses à échéance de dix ans. Et derrière, on peut réduire la dette. Mais, manifestement, l’entreprise n’est pas sur ce chemin, puisque nous estimons que, dans le contrat, les recettes sont surestimées, les dépenses sous-estimées et les gains de productivité pas fixés.

Alors que faire ?

Dans la dette, il y a deux choses. Il y a la dette nouvelle et la dette historique, qui a été transmise par Réseau Ferré de France (RFF) à SNCF Réseau. Cette dernière représente 20 à 25 milliards d’euros, soit la moitié de la dette totale du gestionnaire d’infrastructure. J’ai toujours estimé que cette dette historique ne devrait pas être celle de la SNCF et que l’Etat devrait la reprendre. Aujourd’hui, SNCF Réseau paie 1,5 milliard d’euros par an d’intérêts financiers. On ne peut pas continuer à laisser porter par la SNCF un tel fardeau alors que les exigences pour réussir le défi du ferroviaire en France sont immenses. Il faut que l’Etat assume cette responsabilité.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Les parlementaires ont souhaité que l’Arafer les éclaire au moment d’évaluer le contrat de performance établi entre l’Etat et SNCF Réseau. Notre avis a donc été envoyé aux présidents des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. La question sera débattue en commission et les élus donneront leur opinion de façon formelle. Mais, comme l’avis de l’Arafer, celui des assemblées sera consultatif. C’est le gouvernement qui décidera ou non de signer le contrat.

Ne pas signer rapidement, c’est devoir attendre la fin de la période électorale et retarder encore la promulgation du contrat de performance…

L’avis de l’Arafer est que cette copie est à revoir. Il vaut mieux prendre un peu plus de temps – quatre mois, six mois – et avoir un bon contrat, plutôt que signer à la va-vite un document qui ne permet pas de remplir les objectifs de la réforme ferroviaire. Cela n’empêche pas de mettre en œuvre la priorité numéro un pour SNCF Réseau, qui est de lancer l’investissement dans les chantiers à engager cette année et en 2018.