EMILE LOREAUX/PICTURETANK POUR « LE MONDE »

Clarisse Fabre, journaliste au Monde, a répondu aux questions des internautes sur la place de la culture dans les programmes des candidats à la présidentielle.

Malo29 : Quels sont les engagements des candidats pour refinancer l’enseignement artistique spécialisé (conservatoires), dont les dotations ont été sévèrement réduites voire supprimées ces dernières années ?

Clarisse Fabre : Cette question est en effet essentielle si on veut généraliser l’accès à la culture à la nouvelle génération. Premièrement, il faut savoir que tous les candidats sont favorables à cet enseignement artistique – comment être contre ? – en particulier les pratiques collectives (chorales, théâtres).

Les différences portent sur les modalités : deux candidats, Hamon et Mélenchon, estiment qu’il faut mettre en œuvre des moyens supplémentaires. Chacun s’est engagé à porter les dépenses en faveur de la culture à 1 % du PIB (en additionnant le budget du ministère de la culture et des autres ministères, les enveloppes des établissements publics culturels, les financements des collectivités locales). Car cela coûte de l’argent de faire venir des artistes dans les classes, et par ailleurs les collectivités locales ont besoin d’être soutenues. Les autres candidats (Macron, Fillon, Le Pen, etc.) annoncent un budget culture constant. Chez Macron, par exemple, on estime qu’il y a des économies à réaliser dans certains secteurs, lesquelles dégageraient une marge de manœuvre financière pour financer les priorités.

Autre question : comment faire en sorte que l’éducation nationale et la culture travaillent ensemble ? Hamon propose à cette fin de créer une agence nationale dédiée à l’éducation artistique, laquelle rassemblerait tous les acteurs, en faisant le pari d’une plus grande efficacité.

zouzoin : Quels candidats prévoient l’augmentation du budget de la culture, et quels autres prévoient sa diminution ?

Aucun candidat n’annonce une diminution du budget culture - mais souvenons-nous qu’en 2012 le candidat François Hollande s’était engagé à sanctuariser le budget de la rue de Valois, avant de le diminuer une fois arrivé au pouvoir, du fait de la « crise ». Donc, prudence. Comme je l’ai dit en réponse à la précédente question, deux candidats proposent une nette augmentation du budget - Hamon et Mélenchon s’engagent à porter les dépenses à 1 % du PIB - et les autres s’en tiennent au budget actuel.

Rosa88 : Quels dispositifs les candidats comptent-ils mettre en place pour favoriser les interprètes issus de la diversité française sur les plateaux (théâtre, danse) sur les écrans (télévision, cinéma), dans les arts plastiques ? Les Guadeloupéens, Martiniquais, Guyanais et autres Français colorés ne se reconnaissent pas dans le paysage culturel.

C’est l’autre grand sujet des années à venir. La diversité, non seulement sociale, mais aussi géographique, et « ethnique » si l’on peut dire, En France, on ne fait pas de statistiques ethniques mais l’idée est que les interprètes soient le reflet de la société réelle. A cet égard, le quinquennat a permis quelques avancées, entre autres avec la création d’un Collège de la diversité dans la culture, chargé de repérer « les bonnes pratiques ». Par ailleurs, les membres de ce collège se sont appuyés sur une étude de l’INED (Institut national des études démographiques) qui porte sur les populations d’origine étrangère. En résumant à grands traits, il en ressort qu’en France il y a 30 % de « non-blancs ». Les auteurs de cette étude ont autorisé le Collège de la diversité à communiquer sur ce chiffre, qui devient une sorte d’indicateur. Ou d’objectif à atteindre sur les scènes (sans parler de quotas) ?

Chez les candidats, il y a un certain consensus pour prolonger les mesures existantes : favoriser la mixité des jurys, en vue des nominations à la tête des lieux subventionnés, travailler sur les récits (quels récits met-on en scène ?), poser le principe de la diversité dans les cahiers des charges des lieux culturels - se pose alors la question du contrôle, et d’éventuelles sanctions si rien n’est fait… là les candidats sont plus timides - continuer les expérimentations dans certaines écoles d’art.

A noter la position tout à fait à part du Front national, qui estime que l’Etat n’a pas à se préoccuper de la diversité (ni de la parité d’ailleurs), mais seulement de la francophonie. Pour le FN, c’est au niveau local, en ouvrant par exemple les conseils d’administration des lieux à des représentants du public, que chaque lieu défendra les priorités qui sont les siennes. La diversité ou autre chose.

Septentrion : Tous les pays connaissent les vertus des enseignements artistiques dans l’éducation et en particulier pour les enfants en difficultés scolaires. En France ? que dalle. (…) La culture n’est pas qu’une question de budget c’est aussi une question de… culture. Qu’en pensez-vous ?

Je vous invite à lire une de mes précédentes réponses, si l’on s’en tient aux propositions, on sent un réel intérêt des candidats. Après je ne peux pas deviner si les promesses seront tenues…

Théo1515 : Aucun candidat ne donne l’impression de s’intéresser véritablement à la culture depuis le début de la campagne notamment sur les questions de soutien à la création mais aussi de soutien à la diversité culturelle et linguistique. Toutes ces questions sont totalement éclipsées et je trouve cela franchement inquiétant. Comment cela s’explique-t-il selon vous?

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Il y a en effet la partie émergée de l’iceberg : les meetings, les débats à la télé, où en effet la culture est quasi-absente car jugée moins essentielle que le chômage, la sécurité, ou autre. Pourtant, si la France se dotait déjà d’une réelle politique d’éducation artistique à l’école, la société irait à mon sens beaucoup mieux, dans le sens de l’ouverture, la tolérance, l’émancipation sociale, la connaissance de soi et donc la capacité de se projeter dans l’avenir, Au-delà, bien sûr, du plaisir de découvrir des œuvres, ou de pratiquer en amateur, en professionnel, etc.

Mais, il faut aller voir un peu plus loin et ne pas désespérer. A droite et à gauche, des candidats ont parlé de la culture à des moments précis : Juppé pendant la primaire, Fillon aussi (le patrimoine), Macron a présenté son projet culture sur France culture, en janvier. Pendant la primaire à gauche, lors du dernier débat télévisé au moment du « duel » avec Valls, Hamon a choisi de parler de la culture dans sa « carte blanche ». Il vient aussi d’écrire une tribune présentant ses projets pour la culture au moment du Salon du livre. Chez Mélenchon, tout un livret sur les arts et la culture, avec des propositions chiffrées, permet de bien cerner la vision du candidat

Au Monde, on a décidé de faire une « série » sur la culture et les enjeux de la présidentielle (une double page tous les samedis), justement pour que ce sujet ne soit pas éclipsé. Et je peux vous dire que lorsque l’on interroge les équipes de campagne, sur des sujets assez pointus (diversité, droit d’auteur, patrimoine, liberté de création…), on a des retours. Il y a des gens qui travaillent à temps plein sur la culture dans l’entourage des candidats. C’est aux médias de rendre visible le fruit de ces réflexions !

No : Que disent les candidats quant à la censure culturelle ? Certaines villes du FN posent des problèmes – crédits coupés… d’autres parlent de « blasphèmes ».

Tous les candidats se disent officiellement hostiles à la censure - à nouveau, comment oser dire le contraire ? Même au FN. Je prends un exemple : l’autre jour, le maire FN du Luc (Var), Pascal Verrelle, a déprogrammé le film Chez Nous de Lucas Belvaux qui était à l’affiche du cinéma municipal. J’ai fait réagir le porte-parole de la culture de Marine Le Pen, Sébastien Chenu. Il a regretté cette décision et a déclaré que « les élus n’ont pas à intervenir dans la diffusion des œuvres ». Mais le FN n’a pas publié de communiqué officiel dénonçant cette mesure. Il y a donc une prise de position au niveau national, rassurante on va dire, mais des actes qui peuvent aller à l’encontre de cette liberté de création et de diffusion sur le terrain.

Une loi sur la liberté de création a été votée durant ce quinquennat (2016). Elle rappelle le principe de liberté de création et de diffusion, mais il faudrait encore la consolider pour la rendre effective. Cela passe par des engagements entre l’Etat, les collectivités locales, et les lieux. Et il faut savoir que moins l’Etat est présent dans le financement des lieux, moins il a son mot à dire.

Hum : Des propositions liées aux intermittents, aux statuts d’indépendants ou aux statuts d’auteur ? (…) Ces statuts sont complètement obsolètes ou fourre-tout.

Sur les intermittents, tous les candidats se disent favorables au maintien de l’assurance-chômage des artistes et des techniciens du spectacle et du cinéma. Ils ont aussi compris tout « l’intérêt » de ce dispositif, qui fait de la France un pays totalement à part sur le plan culturel (grâce aussi à toutes ces mesures de régulation et de financement de la création, du cinéma, etc.). Sans les intermittents, le rayonnement culturel de la France ne serait pas le même : pensons au nombre de festivals de cinéma, de musique, de théâtres, qui ne pourraient exister si ces professionnels ne bénéficiaient pas d’un filet de sécurité.

Mais ensuite, quand on regarde de plus près les intentions des candidats, tout est question de nuance, on peut juste vouloir maintenir le régime ou souhaiter le renforcer. Ainsi Marine Le Pen estime que le dispositif est trop coûteux et elle veut demander aux partenaires sociaux qui négocient le régime de revoir son périmètre. Une carte professionnelle serait ensuite mise en place. L’objectif serait d’aboutir à environ 300 millions d’euros d’économies.

D’autres veulent conforter le régime : Hamon et Mélenchon souhaitent une meilleure prise en compte des heures de formation dans le calcul des 507 heures. Ceci dans le but de participer à ce projet de généralisation de l’éducation artistique (éducation à l’image, pratique instrumentale, théâtre, etc.) et d’affirmer aussi que les artistes et les compagnies ont aussi ce rôle social et citoyen à jouer, en plus de la production de spectacles ou de films.

Ensuite, il y a des propositions pour diminuer la précarité chez celles et ceux qui ne bénéficient pas du régime des intermittents. Hamon propose un « statut de l’artiste », au-delà de la formule ce sont des mesures qui visent à soutenir les plasticiens, les photographes, etc. Et Hamon et Mélenchon – assez proches sur le terrain de la culture – sont favorables à prolonger les droits d’auteur au-delà de 70 ans pour créer une sorte de « caisse » qui permettrait de soutenir les jeunes auteurs. Il y a l’idée que les morts pourraient aider les vivants. Chez Macron, l’accent a surtout été mis dans cette campagne sur la culture comme facteur d’émancipation – ne pas être « assigné en résidence » selon son expression – avec notamment le passe culture pour les jeunes de 18 ans. Mais c’est un autre sujet.

Jean2 : Une place pour les jeux vidéo est-elle prévue dans les programmes culturels des candidats ?

Oui Jean-Luc Mélenchon propose de créer un Centre national du jeu vidéo (CNV), sur le modèle du Centre national du cinéma. Les caisses du CNC sont alimentées, entre autres, par une taxation sur les tickets de cinéma, ce qui fait que tous les films – et en particulier les block buster qui réalisent de grosses rentrées d’argent – alimentent le système en vue de la création de futures productions, qu’il s’agisse de films d’auteur à petit budget ou de gros budgets. Mélenchon estime qu’il y a beaucoup de talents dans cette filière – par ailleurs populaire, accessible et non élitiste – et que le CNV serait le moyen de dynamiser le secteur. Son projet est décrit dans le livret sur les arts et la culture.

PierL62 : Beaucoup de mairies, de conseils départementaux et régionaux ont gelé les budgets culturels ! Comment remédier à cela, au niveau de l’Etat ?

Déjà, il faut que l’Etat donne l’exemple. En clair, ne pas refaire que Hollande a fait en 2012, soit diminuer le budget du ministère de la culture. Ce choix a été dévastateur.

Ensuite, si l’on veut que les collectivités soutiennent la culture, il ne faut pas qu’elles soient asphyxiées économiquement. Or, la diminution des dotations en provenance de l’Etat, là encore, ne les a pas aidées. Mais ce n’est pas une excuse : des collectivités ont fait le choix de la culture, même quand elles étaient en difficulté, c’est un choix politique. Je vous invite donc à regarder si tel ou tel candidat s’engage aujourd’hui à ne pas diminuer les dotations aux collectivités (Macron, par exemple, veut continuer à faire des économies au niveau des collectivités).

Ce qui est proposé, chez certains candidats, est que l’Etat propose aux collectivités un engagement sur trois ans par exemple. Trois ans durant lesquels l’Etat s’engagerait à maintenir son soutien, en échange de quoi les villes, départements, régions, s’engagent à leur tour à ne pas couper les vivres. Ce serait une chaîne vertueuse, qui paraît essentielle pour préserver l’avenir.